Charfeddine Kellil: «Plusieurs documents d'une haute importance sont toujours en attente d'être déclassifiés par le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Défense» «Laissez-moi avec ma bouteille d'essence!», crie Moslem Kasdallah, blessé de la révolution, avant qu'une poignée de personnes ne réussissent, avec beaucoup de difficulté, à lui arracher la bouteille. La scène se déroule dans le hall du siège de l'Ugtt où se sont rassemblés, hier après-midi, les blessés de la révolution et leurs familles. Ils entamaient leur troisième semaine de grève de la faim en réaction au verdict jugé clément à l'encontre des cadres sécuritaires du président déchu. Moslem n'en pouvait visiblement plus d'écouter Samir Cheffi, le secrétaire général adjoint de la centrale syndicale, qui n'avait pour eux qu'un argument qui n'a pas convaincu: «L'Ugtt n'a pas le pouvoir de rendre justice aux martyrs et aux blessés de la révolution». «Si vous le pouvez, rétorque un des blessés, vous avez bien décrété des grèves générales pour moins que ça!». L'atmosphère est de plus en plus électrique à l'intérieur du siège historique de l'Ugtt. En témoignent les inscriptions sauvages sur les murs, accusant l'Ugtt de bureaucratie et d'avoir oublié les martyrs et blessés de la révolution. Tout avait commencé, hier en début d'après-midi, au centre- ville, où plusieurs associations avaient organisé un «sit-in de solidarité» pour soutenir les revendications des familles des martyrs et des blessés de la révolution. Un cri sans écho Assise sur un matelas, placé à même le sol, le regard perdu, la mère de Khaled Ben Nejma se souvient encore du 13 janvier 2011, jour au cours duquel un chef de poste de la région de Ras Jebal aurait tiré de sang-froid sur son fils trois coups de feu alors que celui-ci tentait de secourir un autre blessé tombé sous les balles de la police. Khaled Ben Nejma est aujourd'hui sur une chaise roulante. «Je n'attends plus rien de la justice, murmure en sanglots la mère de Khaled, mais je veux dire aux jeunes de ce pays que s'ils se taisent aujourd'hui, leur tour viendra un jour». Exaspérés, les blessés et leurs familles ont les nerfs à fleur de peau. Ils s'en prennent à tout le monde: aux médias, aux partis politiques, au gouvernement et à l'Ugtt. Bref, à l'ensemble de ce qu'ils considèrent comme un establishment bureaucratique ayant profité du sang des martyrs et du malheur des blessés. Depuis plus de trois ans, Tarek Dziri vit sous morphine dans une chaise roulante. Lorsqu'un un ami le prend dans ses bras pour l'aider à descendre quelques marches d'un escalier, Tarek se mord violemment la main de douleur. Sa jambe gauche se met à trembler comme s'il avait reçu un choc électrique. Mais sa véritable douleur, comme il le dit, c'est de subir l'humiliation, celle de l'injustice, celle de ne plus pouvoir goûter aux plaisirs simples de la vie, celle de devoir porter des couches-culottes. Il existe encore d'autres preuves Présent lors du sit-in, l'avocat Charfeddine Kellil, avocat des victimes, explique pour sa part que même si les dossiers présentés à la cour sont déjà bien étoffés, et justifiaient à eux seuls une lourde condamnation des prévenus, il existe d'autres preuves et d'autres documents, incriminant probablement les cadres sécuritaires. «Plusieurs documents d'une haute importance sont toujours en attente de déclassification par le ministère de l'Intérieur et celui de la défense. Ces documents comporteraient des ordres écrits et prouveraient les liens qui existaient entre le palais de Carthage, les cadres sécuritaires et les agents de terrain», explique-t-il. Quoi qu'il en soit, les blessés de la révolution, les familles des victimes et ceux qui les soutiennent ne comptent visiblement pas en rester là.