Bien que l'Afrique présente des opportunités certaines, aujourd'hui encore ce ne sont que des initiatives individuelles d'opérateurs tunisiens qui partent investir en Afrique... Au-delà d'un simple phénomène de mode, l'Afrique connaît une véritable dynamique de croissance. Une aubaine pour la Tunisie qui passe par une crise économique grave. Mais encore faut-il savoir exploiter les opportunités qui s'offrent pour replacer la Tunisie sur l'échiquier africain. Une place qu'elle a désormais perdue, au fil des ans. Une vérité abordée lors du 16e Forum annuel de l'Economiste Maghrébin, tenu, hier, à Tunis. Une rencontre en rien anodine qui tend à mettre en exergue, encore une fois, le grand apport de l'Afrique, les opportunités qu'elle offre à la Tunisie, et l'énorme potentiel disponible des deux côtés. Inaugurant la manifestation, Hakim Ben Hammouda, ministre de l'Economie et des Finances, a rappelé qu'il fut un temps où la Tunisie avait misé «sur une coopération stratégique avec l'Afrique subsaharienne». Une époque où des caravanes d'hommes d'affaires étaient organisées vers le continent africain. Cependant, vers la fin des années 80, la Tunisie a boudé l'Afrique, souligne le ministre, pour se concentrer sur des rapports bilatéraux avec l'Europe». D'ailleurs, quand on regarde les chiffres des échanges commerciaux entre l'Europe et la Tunisie, et la Tunisie et l'Afrique, il n'y a pas photo. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : environ 60% avec le Vieux continent, et à peine 3% avec l'Afrique. Cela dit, les intervenants lors du 16e Forum annuel de l'Economiste Maghrébin demeurent optimistes. Ils préfèrent, en dépit de toutes les difficultés, regarder la moitié pleine du verre. A ce titre, Hakim Ben Hammouda indique qu'on assiste à un changement de la donne apporté par la révolution. Il y a un «vent nouveau» au niveau officiel qui est en train d'accompagner l'élan économique et commercial des hommes d'affaires et de l'Utica, qui visent désormais le continent, avec de grands espoirs d'investissement et d'échanges». Faut-il rappeler que jusque-là, ce sont les opérateurs économiques qui ont pris le risque de se déplacer en Afrique, en dépit de l'absence d'un accompagnement des banques, en l'absence de lois de protection des investissements, et autres... Une réalité confirmée par Wided Bouchamaoui, présidente de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica) : l'installation des hommes d'affaires était le pur produit de leur propre mérite, loin de toute assistance d'un quelconque organisme. Une initiative pleine de risques certes, mais conforme à l'état d'esprit des chefs d'entreprise tunisiens. Manque de volonté politique Ce qui manque aujourd'hui, c'est la volonté politique d'établir une stratégie adéquate pour les investissements tunisiens en Afrique. Les autorités tunisiennes devraient désigner des ambassadeurs tunisiens en Afrique, capables de maîtriser les problématiques économiques». Des représentants qui sachent négocier et promouvoir les échanges commerciaux, les investissements pour mieux réussir à intégrer la Tunisie dans son continent l'Afrique. Dans cet ordre d'idées, Mme Laura Baeza, ambassadrice de la Commission de l'Union européenne en Tunisie, a indiqué que l'Afrique est une nouvelle frontière qui s'ouvre pour la Tunisie comme pour l'Union européenne. «Le continent africain est devenu synonyme de croissance et d'opportunités et la Tunisie par cheminement spécifique est particulièrement bien placée pour accompagner le continent africain vers le progrès», a-t-elle déclaré. L'Economiste Maghrébin a choisi pour son 16e Forum annuel un thème des plus actuels depuis quelques années. : «Tunisie-Afrique, le continent comme horizon». Le magazine revient à la charge avec insistance, parce que l'on croit profondément en cette Afrique et surtout à son apport à l'économie nationale. Un choix qui n'est en rien anodin, comme le précise si bien M. Hédi Mechri, directeur de l'Economiste Maghrébin : «La relation Tunisie - Afrique ne peut être qu'une relation forte, structurée, fondée autant sur des convictions que sur des intérêts, des gains et une prospérité partagés. Forte au point de faire du continent africain notre nouvel horizon, sans en être le seul». Et d'ajouter : «Il faut y voir la nécessité de réinventer notre propre avenir, en faisant de l'Afrique notre nouvelle frontière. C'est là que nous devons chercher le supplément de croissance qui nous fait défaut pour équilibrer nos échanges extérieurs, lutter contre le chômage des jeunes et résorber la fracture régionale. Notre principal partenaire européen ne pourra plus, à lui tout seul, nous offrir une telle opportunité». Hédi Mechri a par ailleurs souligné que l'Afrique est devenue le champ ouvert de rivalités entre d'anciennes et de nouvelles puissances industrielles, elle constitue un enjeu économique et géostratégique majeur. Ce regain d'intérêt sonne le réveil d'un continent, longtemps meurtri et ravagé par les guerres et les pillages de ses propres ressources. C'est désormais dans cette région que se concentreront les plus grands gisements de croissance dans le monde. Certes, la Tunisie est à même, aujourd'hui, d'être le maillon indispensable entre l'Afrique et l'Union européenne, pour un partenariat gagnant-gagnant. L'Afrique, au taux de croissance de 5%, accueille 20% des IDE du monde par an, 42% des IDE intercontinents, ainsi que 17% d'échanges commerciaux intercontinents. Sans compter que d'après Ahmed Karam, dans les cinquante prochaines années, la population du continent africain va doubler, passant d'un milliard à deux milliards, avec un taux de croissance de 5%, et 300 millions d'individus migreront des zones rurales vers les zones urbaines». Mettre en place une stratégie adéquate Des chiffres qui témoignent qu'il y a beaucoup à faire en Afrique, et divers secteurs à investir. Il s'agit notamment du secteur agricole, des services de santé, du tourisme (l'Afrique accueille 50 millions de touristes par an), l'infrastructure, le secteur des mines, les produits de consommation... En effet, le banquier précise que l'Afrique serait prochainement le plus grand marché de consommation du monde, avec 1.000 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Si la Tunisie réussit à acquérir 1%, cela représenterait environ 10 milliards de dollars», a déclaré Ahmed Karam. Et d'ajouter, : «Aujourd'hui, nous avons besoin d'actions concrètes. En d'autres termes, d'une stratégie claire pour reconquérir l'Afrique, et développer l'investissement». La Tunisie est appelée aujourd'hui à déterminer «comment aborder ce vaste continent, avant qu'il ne soit trop tard. Car l'Afrique séduit et attire aujourd'hui toutes les puissances du monde. Alors autant veiller à se faire une place, dès à présent, du moment que les atouts et les opportunités sont là. Il faudrait mettre en place une stratégie en cinq axes, selon Ahmed Karam, pour réussir le pari. Il s'agit d'une diplomatie agissante et efficace, d'une proximité effective, par la mise en place de liaisons aériennes et maritimes avec les principales capitales africaines, du déploiement financier, par un accompagnement des banques, d'africaniser la Tunisie, en donnant à la culture africaine la place qu'elle mérite, et d'inscrire dans la durabilité des partenariats efficaces et permanents», a insisté le directeur général d'Amen Bank.