Par Hamma HANACHI Ai Weiwei, un artiste dont on parle peu, ou pas assez, de toute façon moins, beaucoup moins que les Jeff Koons, Damian Hirst, et autres artistes bénis qui emballent la machine à profit jusqu'au délire et qui caracolent sur le marché de l'art dans les maisons de vente. Car, aujourd'hui, ce n'est plus l'art qui domine, ce n'est pas non plus les critères esthétiques, ou les valeurs longtemps chatées par les esthètes, ni les historiens de l'art qui prévalent, mais le marché. La démesure du système capitaliste avancé en a voulu ainsi. Il est chinois, très bien coté sur le marché. Il faisait honneur au pouvoir en place, adulé par l'oligarchie du Pays du Milieu, la fine couche sociale qui dirige économiquement le pays. Mais Ai Weiwei n'est pas artiste à répondre au marché dans le sens du poil. Il est radicalement rebelle. Il se situe dans la lignée de Marcel Duchamp (dadaïste) auquel il fait souvent référence : les bicyclettes, la chaise en marbre, une poignée de graines de tournesol en porcelaine, peintes scrupuleusement. Pourquoi? On peut penser à la référence des Tournesols de Van Gogh, mais Weiwei est au cœur de la critique sociale. C'est une métaphore au discours de Mao Tsé Toung : «Le peuple chinois doit se tourner vers lui-même, comme le tournesol vers le soleil». Il reprend des références historiques qu'il tourne en dérision : la Tour Eiffel, la place Tian'anmen. Son œuvre dérange. Caustique, elle secoue la conscience des dirigeants. Il parle de justice sociale, montre ce que le régime veut cacher. Il a diversifié ses pratiques artistiques. Il a ajouté les nouvelles technologies, montre ses photographies : un art qu'il a toujours pratiqué, qui occupe une place importante dans sa vie de «citoyen» et qu'il continue à diffuser sur son blog. A l'occasion de sa dernière exposition intitulée «Evidence», qui a ouvert ses portes le 3 avril 2014 au Martin Gropius Bau à Berlin, la plus importante manifestation consacrée à ce jour au dissident chinois, la chaîne Arte nous a gratifiés d'un documentaire édifiant sur l'artiste, sa vie, son travail et son sens aigu de la réalité chinoise. Ai Weiwei a séjourné pendant 10 ans à New York. Il a capté des milliers de clichés de la ville, de ses concitoyens, ses amis, son quartier. Il est alors influencé par les œuvres de Beuys et d'Andy Warhol. Il se bâtit un style «moderne» sous l'aspect de séquences caractéristiques de l'époque. Il acquiert un nom dans le cercle de l'art. Rentré en Chine, il intègre le milieu des artistes d'avant-garde (oui! il y en a), milite pour de nouvelles expressions plus libres. Il devient le porte-parole de ce cercle d'artistes. La prison n'est pas loin : il est arrêté pendant 81 jours, puis relâché, sans explication, comme si rien ne s'était passé. Il raconte au passage que son père a eu moins de chance, il a été condamné à 20 ans d'exil puis libéré : une erreur, disent les responsables. Ai WeiWei entre en dissidence, il est assigné à résidence à Pékin, il est libre mais ne peut pas voyager, cantonné dans son studio. Il use sans mesure d'Internet, qui lui permet d'échanger et de communiquer ses idées avec le monde. 20 mille personnes avec lesquelles il discute. Or, sur la toile chinoise, son nom n'est pas mentionné. Art militant? En quelque sorte, avec des moyens modernes. «Evidence» : tel est le titre de l'exposition composée d'œuvres monumentales, de photos et de vidéos, elle témoignera une fois de plus de sa rébellion face à un régime qui cherche à le bâillonner. Les caméras d'Arte ont accompagné les préparatifs de l'exposition en Allemagne sous les directives de l'artiste : une logistique compliquée et précise. L'artiste n'a plus besoin d'aller dans ses expositions, c'est sa une «autre façon» de faire de l'art, sur Internet qui offre à n'importe qui de s'exprimer. Il répond «il est essentiel pour chacun de penser à la liberté. Mon activisme n'est pas politique. La liberté d'expression, cela fait partie de mon art. Ici, rien n'a changé. Il n'y a pas d'avenir pour un activisme politique en Chine, mais il y a un avenir pour les gens qui aiment la liberté, qui aiment la justice. Pour l'instant, Weiwei tient à rester sur place pour refléter les préoccupations de ses compatriotes et dénoncer le caractère répressif du régime. Va-t-il se rendre à Berlin pour le vernissage de son exposition, puis regagner la Chine? La question reste suspendue.