La Tunisie a célébré hier la journée nationale de l'agriculture et le 50e anniversaire de la nationalisation des terres agricoles. Une célébration sur fond de colère manifestée par les agriculteurs, en présence des trois présidents. Un grand nombre d'agriculteurs et de pêcheurs ont quitté, hier, la salle du palais des congrès où, se tenait un grand meeting, pour marquer la célébration de la journée nationale de l'agriculture et du 50e anniversaire de la nationalisation des terres agricoles. Une réaction de colère manifeste des professionnels justifiée par l'absence de mesures et de décisions effectives dans les allocutions des trois présidents, de la République, Moncef Marzouki, du gouvernement, Mehdi Jomâa et de l'Assemblée nationale constitutionnelle (ANC), Mustapha Ben Jaâfar. La colère a atteint son summum au moment de l'allocution de Mehdi Jomâa, qui avait du mal à la prononcer au milieu des voix qui se sont élevées, scandant : «Nous voulons des décisions, nous voulons des décisions...». Plusieurs agriculteurs en colère ont estimé que les présidents mènent des campagnes électorales avant l'heure et qu'ils sont totalement désintéressés des vrais problèmes du secteur dont notamment l'éparpillement des terres agricoles, ceux fonciers, qui entravent fortement l'investissement dans l'agriculture, ainsi que celui de l'endettement. «Les discours sont pompeux, théoriques et sans aucun impact, lance un agriculteur de Kairouan. Nous ne sommes pas venus de si loin pour entendre les mêmes choses. Nous nous attendions à des annonces de mesures et de décisions à même de régler nos problèmes. Or, il n'en est rien. On a tout simplement assisté à une poursuite de la marginalisation du secteur agricole». Les agriculteurs ont attendu l'intervention de Mehdi Jomâa pour exprimer clairement leur mécontentement. En effet, le chef du gouvernement a été interrompu au début de son allocution par les cris des agriculteurs qui réclamaient des mesures de soutien au secteur et manifestaient leur crainte de voir les terres agricoles cédées à des étrangers. Avec beaucoup de tact et de calme, Mehdi Jomâa a géré la situation. Il a attendu que le calme soit revenu dans la salle, et a clairement démenti l'appropriation de terres domaniales et agricoles en Tunisie par des étrangers. Nouvelle liste de location de terres domaniales «Les lois en vigueur en rapport avec l'appropriation des terres domaniales n'ont pas changé. On a juste raccourci les délais de réponse relatifs à l'autorisation du gouverneur, pour inciter aux investissements directs étrangers (IDE). Il est inconcevable que la réponse arrive, après trois ans. Il a fallu écourter les délais, à un maximum de trois mois», a-t-il expliqué. Certes, la journée nationale de l'agriculture n'a pas vu l'annonce de nouvelles décisions relatives au secteur. Néanmoins, Mehdi Jomâa a rappelé les différentes mesures prises par le gouvernement dans ce sens. Des mesures, a-t-il indiqué, qui tendent à promouvoir le secteur de l'agriculture et de la pêche dont principalement, l'annulation des dettes de moins de 5 mille dinars des agriculteurs. Une annulation qui permettra à ces derniers de produire et d'emprunter de nouveau pour investir dans le secteur. Le chef du gouvernement a, par ailleurs, précisé que l'agriculture est un secteur indispensable à l'économie nationale. En effet, il contribue à hauteur de + 10 % du PIB, 8 % des investissements, et emploie 16 % de la population active. Quant au secteur de la pêche, il emploie 60 mille personnes, soit environ 2,5 millions de Tunisiens qui vivent de cette activité. Une activité qui participe à la production et à l'exportation à hauteur de 300 MD. Evoquant la location des terres agricoles, Mehdi Jomâa a rappelé que les cahiers des charges ont été révisés, dans un souci de transparence, de plus d'équité et d'égalité des chances. Dans ce contexte, le chef du gouvernement a annoncé qu'une nouvelle liste des fermes destinées à la location sera publiée prochainement. Pour un dialogue national sur l'agriculture Le président de la République provisoire, Moncef Marzouki, a de son côté mis en exergue l'importance de la sécurité alimentaire, l'inscrivant dans un contexte global. C'est un concept plus large. Il concerne, en effet, la sécurité politique, énergétique, sanitaire et alimentaire». Le président Marzouki estime, par ailleurs, que l'autosuffisance alimentaire est difficile à réaliser, notamment à l'heure de la mondialisation et de l'interdépendance des échanges. La sécurité alimentaire est, à mon sens, de fournir le niveau minimal à notre peuple pour qu'il puisse subvenir à ses besoins, si cette interdépendance venait à s'arrêter pour quelque raison que ce soit», a expliqué Moncef Marzouki. Rappelant l'importance du secteur dans l'économie nationale, le président de la République a précisé que la sécurité alimentaire demeure toutefois fragile eu égard au faible rendement des terres céréalières. A ce tire, il a précisé que le pays ne produit que la moitié de ses besoins, et en importe, en devises, l'autre moitié. Sans compter le problème de la déperdition des terres, concernant 20 mille hectares, sur un total national de 5 millions d'hectares. Autre point important, Marzouki a tiré la sonnette d'alarme quant aux problèmes liés aux changements climatiques. «Je tire la sonnette d'alarme. Ce problème est planétaire et ne concerne pas uniquement les pays développés. Il s'agit d'une menace importante qui place notre agriculture et notre pays face à des défis majeurs auxquels il faudrait prévoir une stratégie afin de mieux s'y adapter», a-t-il souligné. De son côté, le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaâfar, a souligné que le développement économique et l'autosuffisance alimentaire passent par l'essor agricole. Et c'est le cas de toute approche de développement réussie. Pour ce faire, il a appelé à adapter les programmes de formation professionnelle et de l'enseignement supérieur aux besoins de la recherche et du développement du secteur agricole. Le président de l'ANC n'a pas manqué de rappeler que la nouvelle constitution de la Tunisie a mis en exergue la démocratie locale et participative qui permet aux citoyens de gérer leur région à travers des instances élues, ainsi que l'introduction du principe de la discrimination positive. Ben Jaâfar a exprimé son souhait pour que le dialogue nationale économique consacre une priorité absolue au secteur agricole afin d'établir un diagnostic et d' identifier les solutions adéquates. Abdelmajid Ezzar, président de l'Utap, a quant à lui carrément appelé à un dialogue national sur l'agriculture et a exhorté toutes les composantes de la société civile, ainsi que les partis politiques et le gouvernement, à y prendre part. Un dialogue dont la finalité n'est autre que d'améliorer la situation de l'agriculteur tunisien et de le réhabiliter après des années de marginalisation. L'idée est de changer les stratégies agricoles et d'œuvrer à regrouper les agriculteurs dans des coopératives pour lutter contre l'éparpillement des terres agricoles.