«Mets-toi dans la peau d'un paysan de Sibérie. Un beau jour, quelque chose se casse en toi et meurt, à force de passer ta vie à regarder le soleil se lever au-dessus de la ligne d'horizon de l'est, accomplir sa courbe et se coucher derrière la ligne d'horizon de l'ouest. Alors, tu jettes ta houe par terre, et sans penser à rien, tu te mets à marcher vers l'ouest». Shimamoto-San, un personnage essentiel du roman. Le début de ce roman s'étale en longueur sur les élucubrations d'un fils unique qui se lie d'amitié avec une fille unique. Car il semblerait qu'être enfant unique dans une société japonaise des années 60 vous différencie des autres. Mais quelque chose, dans l'écriture de Haruki Murakami, cet écrivain japonais contemporain, né en 1949, auteur de romans à succès, de nouvelles et d'essais, nous accroche et nous donne envie d'aller jusqu'au bout de cette histoire de vie «banale», celle de «Hajim». Comme tout le monde, Hajim avait son amour d'enfance. Elle s'appelait Shimamoto-San. Etant enfants uniques, leur rencontre va illuminer leur morne enfance d'une douce complicité. Et, comme cela se passe dans les légendes hollywoodiennes, «the boy loose that girl», ce garçon perd cette fille, puis la retrouve quelques années plus tard. Hajim était devenu un homme, père de famille et propriétaire d'un club de jazz. Un soir de pluie, il est attiré par la beauté d'une jeune femme assise auprès du comptoir. C'est Shimamoto-San. Il ne résistera pas aux retrouvailles. Commence alors cette «inquiétude intérieure», ce «conflit de parties». Car Hajim est un homme comblé. Ses affaires marchent à merveille, et il a une épouse magnifique et deux petites filles adorables. Mais son autre «moi» le pousse à tout abandonner pour aller, avec Shimamoto-San, au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, là où il y aurait peut-être quelque chose de bien plus merveilleux... Il est prêt à oublier la honte, la culpabilité, pour mourir d'amour. Mais «South of the border» (Au sud de la frontière) n'est autre qu'une chanson de Nat King Cole (1919-1965), chanteur et pianiste américain de jazz et de «rhythm and blues», l'un des plus grands crooners des années 1950. La vie est beaucoup plus compliquée qu'un rêve, qu'une chanson. Et Shimamoto-San a un secret, que ni Hajim ni vous, en tant que lecteur, ne saurez jamais. Mais vous saurez au moins une chose : que votre vie n'est pas si banale. Parce que vous êtes un être humain imparfait, comme tous les êtres humains. Vous avez beau essayer d'être quelqu'un d'autre. Vous avez toujours voulu aller vers des gens et des lieux différents, pour vous inventer une vie nouvelle, devenir un être au caractère différent. Mais, pour finir, comme dit Hajim, vous n'êtes arrivé nulle part. Vous êtes demeuré vous-même. Vos défauts restent irrémédiablement les mêmes. Les paysages ont beau changer, les échos, les voix différer autour de vous, vous n'êtes toujours rien d'autre qu'un être humain imparfait. NB : Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil est le septième roman de l'écrivain japonais Haruki Murakami, paru en 1992 au Japon. Il est traduit en français par Corinne Atlan et paraît aux Editions Belfond en 2002.