On apprend pas mal de choses en lisant les « Pintades », cette collection d'ethno-guides touristiques qui consiste à porter un regard décalé sur les coulisses féminines des grandes villes du monde. Le premier ouvrage, entrepris en 2004, décodant le mode de vie des femmes new-yorkaises, a servi de matrice pour les autres ouvrages de la collection, que Layla Demay et Laure Watrin, journalistes françaises, décident de créer après la sortie de ce premier livre. Pour écrire, les journalistes vivent dans les villes en question, s'imprègnent des us et coutumes des habitants, et s'appuient sur des enquêtes journalistiques de fond, des rencontres et des interviews. Chaque ouvrage est construit sous forme de chroniques qui décrivent le quotidien des femmes (mode, beauté, engagement citoyen, condition féminine, monde du travail, enfants, séduction, vie sexuelle...), en fonction du contexte social et politique de leur pays. Chaque ouvrage livre également un carnet d'adresses. Ainsi, après New York, les pintades françaises ont été à Londres, à Paris, puis à Berlin. Leur concept a également été décliné à la télévision, avec la réalisation de trois documentaires pour « Les nouveaux explorateurs », sur Canal+, et sur Internet, avec la création d'un site et d'un blog appelés « Les Pintades ». Mais l'on précise que ce sobriquet de pintade n'a rien de péjoratif, bien au contraire. « C'est plutôt un pied de nez aux doux noms d'oiseaux dont les femmes sont parfois affublées », écrit-on dans la présentation des Pintades de Téhéran. Les auteures de la collection ont choisi cet oiseau pour symboliser la femme moderne, qu'elles définissent comme étant féministe et féminine. Dans leurs ouvrages, elles insistent sur les qualités d'indépendance du volatile et font un parallèle anthropomorphique avec les femmes qu'elles dépeignent. Elles se sont appuyées sur la lecture de Jean-Marie Lamblard, romancier et essayiste, historien et conteur, docteur en ethnozoologie et spécialiste du monde méditerranéen. Les Téhéranaises Sous la direction de Layla Demay et Laure Watrin, la journaliste française Delphine Minoui a donc écrit Les pintades à Téhéran. Mais pourquoi Téhéran ? « Sans doute parce que nous pensons qu'il est toujours bon de s'ouvrir à d'autres cultures, même si on n'ira pas toutes demain (et c'est bien dommage) faire du tourisme en Iran », écrivent les conceptrices de la collection dans la préface de l'ouvrage sur les Téhéranaises. Sans doute, aussi, parce qu'elles savent qu'il y a plein de pintades sous les tchadors. Selon l'auteure, elles sont vraiment épatantes, vaporeuses, un soupçon allumeuses, même sous leur foulard. Elles sont même parvenues à redonner vie à leur espace public, en y injectant de la couleur, du parfum, de la sensualité. Dans les rues du nord de Téhéran, ajoute-t-elle, le diable s'habille en veste saharienne rose ou kaki, en faux foulard Vuitton et écoute des tubes californiens sur son iPod ! Ni la révolution de 1979, ni les slogans provocateurs d'aujourd'hui n'ont réussi à endiguer le flot battant de la vie. Et Delphine Minoui d'ajouter : « Sous le voile des apparences, l'univers féminin est en pleine ébullition ». Parmi les rencontres, il y a celle avec Chirine Ebadi, première Iranienne à recevoir le Prix Nobel de la paix en 2003. Elle fut également la première femme, en 1974, à devenir juge en Iran. Elle a dû abandonner son poste en 1979 à cause de la révolution iranienne, lorsque des religieux conservateurs ont pris en main le pays et fortement limité le rôle des femmes. Elle est devenue avocate des dissidents et a milité pour faire évoluer son pays, notamment dans le domaine du droit des femmes. Actuellement, Chirine Ebadi enseigne le droit à l'Université de Téhéran, œuvre pour la défense des droits des enfants et des femmes, et se bat pour que les pintades aient un plus grand rôle dans la vie publique. Rappelons que la militante iranienne s'est trouvée à Tunis en novembre 2005 pour s'adresser au Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) au nom de la société civile. Selon une publication de « Tunisie », un journal électronique, Ebadi avait également assisté, au siège de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, à une réunion qui a regroupé quelque 200 représentants d'organisations internationales et tunisiennes et appelé sept opposants tunisiens qui observaient alors, depuis près d'un mois, une grève de la faim pour réclamer plus de libertés, à cesser leur mouvement, afin de préserver leur santé et continuer leur lutte. « Qu'est-ce qui fait donc courir Chirine ? », se demande l'auteure des Pintades de Téhéran. Et de continuer : « Il y a chez ce petit bout de femme un incroyable sens de la résistance, mais aussi du sacrifice, un trait de caractère qu'on retrouve chez beaucoup d'Iraniennes. » « Découvrez une basse-cour voilée mais pas prude ! », dit-elle dans la présentation de l'ouvrage. Ah, ces Occidentaux ! Ils tombent toujours des nues quand il s'agit de l'Orient. Pourtant, il leur suffit de « googler » pour savoir que la condition des femmes dans la société iranienne a connu de nombreuses évolutions au cours de l'histoire, depuis l'égalité complète ou presque avec l'homme dans la mythologie ou aux temps préislamiques. Attendons de lire « Les pintades à Tunis » pour découvrir quel regard « décalé » porteraient les Demay, Watrin et Minoui sur nos coulisses féminines. Combien de temps leur faudra-t-il pour plonger dans notre univers ? A moins qu'elles choisissent, comme beaucoup d'autres enquêteurs venus d'ailleurs, de travailler sur un échantillon peu représentatif des Tunisiennes, et de se contenter, par exemple, d'une « basse-cour » made in « Marsa-cube ».