Par Soufiane Ben Farhat On connaît l'histoire des cadeaux empoisonnés. Beaucoup d'entre eux ont le tort d'arriver au mauvais moment. Et leur récipiendaire ne peut même pas les refuser. Les six mois de présidence espagnole de l'Union en sont une illustration. Le gouvernement espagnol aurait bien voulu s'en passer. Il a subi les tirs groupés de la crise économique, de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne et du défaut de positionnement stratégique de l'UE. De tous les défis envisagés par les dirigeants européens, il ne ressort en fin de compte que deux formules désormais tristement célèbres: l'austérité généralisée et le sauvetage en désespoir de cause. Ainsi, après des tiraillements et de difficiles conciliabules, les dirigeants européens sont-ils convenus il y a peu d'un nouveau rôle de la Banque centrale européenne (BCE). Si ses nouvelles responsabilités autorisent d'escompter spéculativement l'émergence d'un gouvernement économique européen, ce n'est guère si évident dans les faits. Et pour cause. Ce qu'il est convenu d'apparenter à du supra-européanisme est incontestablement le fait de l'Allemagne, plus impériale et souverainiste que jamais à la faveur de sa relative bonne gestion de la crise. La France évolue, dans cette optique du moins, dans son sillage. Et le couple franco-allemand (ou germano-français) s'est encore réaffirmé dans sa vocation volontariste de moteur de l'Europe. Mais les mesures et attitudes adoptées en temps de crise ne sont pas forcément les donnes pérennes aux lendemains des sorties de crises. L'histoire abonde d'exemples édifiants à ce propos. S'agit-il d'un changement de cap structurel ou d'une simple parade conjoncturelle? Nul ne peut trancher. Pour les peuples européens exsangues et saignés à blanc, l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne n'est guère de bon augure. D'autant plus que l'Europe peine à tisser une politique extérieure commune à une seule voix. La fameuse boutade de Kissinger est toujours de mise: "Qui appeler quand je veux parler à l'Europe‑?" L'Europe se retrouve multicéphale d'une certaine manière. Le nouveau président pour un mandat de deux ans et demi est au coude-à-coude avec le président de la Commission européenne, du Haut représentant pour les Affaires étrangères, du président du Parlement européen en plus de la présidence tournante de l'UE. Pour les dirigeants en revanche, il y a lieu de voir le verre à moitié plein là où d'autres le voient à moitié vide. Ils font valoir la mise en place du Service européen pour l'action extérieure. Au-delà de ces considérations stratégiques, on peut dire que l'Espagne n'a pas de chance. Elle a été d'emblée frappée de plein fouet par la crise dès le début de sa présidence. Sa marge de manœuvre fut bien entravée tant par la gestion de la crise que par les tiraillements et piétinements de la politique étrangère européenne. Spécialiste des affaires européennes, José Ignacio Torreblanca a posé la problématique en ces termes: "Pour formuler en termes sportifs l'impact de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l'Espagne était venue pour jouer au football, mais on l'a informée à la dernière minute qu'elle devrait jouer au basket-ball". Les présidences tournantes de l'Union européenne ont encore de beaux restes. La Belgique et la Hongrie, qui s'y succèderont dans les prochains douze mois, n'ont pas l'intention de faire de la figuration. Mieux, la Belgique ne semble pas prête de se doter d'un nouveau gouvernement au plus tôt en septembre, ce qui ne l'empêche pas de passer aux commandes de l'UE dès aujourd'hui. Mais la Belgique saura certainement se tirer d'affaire. C'est un peu comme l'Italie du temps des renversements des coalitions gouvernementales tous les cinq à six mois. Les gens y répétaient volontiers: "Ça va même lorsqu'il y a un gouvernement". De là à souscrire que "l'Europe ça va même lorsqu'il y a une présidence tournante" ! Bref, les Etats membres sont prévenus. Et l'opinion promet d'en dire et redire encore, des vertes et des pas mûres. S.B.F.