Par M'hamed Jaïbi La décision prise par le Conseil national de Nida Tounès de se présenter aux législatives sur des listes sous les couleurs du parti a suscité chez ses alliés de l'Union pour la Tunisie une vague de mécontentement et de critiques acerbes qui ont envahi la Toile, suscitant des réactions inverses tout aussi désobligeantes. Il est vrai que ces alliés estiment qu'une large alliance électorale des forces attachées à l'Etat civil s'impose pour éviter une réédition de la déroute subie le 23 octobre 2011 face à Ennahdha et ses alliés, mais les attaques violentes et les accusations sévères débitées ont installé un véritable climat de zizanie plus proche de la haine et du règlement des comptes que de la déception amicale. Et il est important, ici, de rappeler que le fait qu'un parti politique présente ses propres listes aux élections est une pratique usuelle, laquelle peut être éventuellement relayée par des alliances électorales dans certaines régions, en fonction des opportunités et des spécificités. Et s'il est effectivement possible de débattre du bien-fondé de cette décision, il est essentiel de s'entendre sur le fait qu'il s'agit d'une décision souveraine prise par les structures de ce parti. Il est cependant utile de bien comprendre que la défaite des forces civiles en 2011 n'est pas uniquement due à l'absence d'une large coalition de ces forces alors idéologiquement très hétérogènes et politiquement peu consistantes, mais à l'absence d'un grand parti centriste crédible par ses luttes et son rayonnement, qui aurait pu contrer alors la mainmise opérée par les fondamentalistes sur la Révolution populaire, et leur projet implicite de «révolution islamiste» sur la voie du califat et de l'Etat théocratique. L'environnement actuel est radicalement différent, grâce aux glorieuses luttes menées par les Tunisiens dans le cadre du Front du salut national et au rôle personnel joué par M. Béji Caïd Essebsi dans l'ajustement du processus et dans le rassemblement de la multitude des citoyens et des forces centristes attachés à l'Etat civil, au modèle tunisien et à la modernité, jusqu'à l'institution du Dialogue national sous l'égide du Quartet et la formation du gouvernement de compétences. Ce climat apaisé se réclamant du consensus donne aux différents partis le droit de présenter aux élections des listes propres à leur formation, qui défendront les principes et le programme du parti, avec la possibilité de former des alliances électorales en fonction des intérêts et des conditions de chaque parti. Et il faut insister ici sur le fait que le mode de scrutin de la proportionnelle absolue permet une représentation fidèle des partis en fonction de leur véritable poids électoral. De sorte que le rapport de forces à l'Assemblée élue sera conforme au poids des différents partis dans la société, ce qui ouvre la voie à la reconstitution des alliances les plus larges souhaitées par les forces politiques se réclamant de l'Etat civil. Aucun danger donc à ce qu'un parti présente ses propres listes de candidats. Le vrai danger est dans la zizanie, dans les campagnes de haine, dans les mises en cause et les accusations blessantes qui mettront du temps pour cicatriser. Dans les luttes idéologiques qui divisent et fragilisent, au moment même où, en face, on joue la modération, l'ouverture et la conciliation, loin de tout ce qu'on a dû subir, dans un passé si proche, comme fuite en avant, comme encouragement à la violence et au terrorisme, comme assassinats politiques et comme mise en cause des principes républicains, du modèle tunisien et de la modernité.