Malgré les événements tragiques vécus par tout le peuple tunisien exsangue et dont les nerfs sont à fleur de peau, malgré ce corbeau terroriste qui nous veut du mal et qui déclenche tragédie après tragédie, les Kairouanais essaient de reprendre chaque jour le dessus en affichant des attitudes quelque peu optimistes et en se préparant comme d'habitude aux fêtes familiales de l'Aïd El Fitr. C'est ainsi que dans les souks, à la cité commerciale et dans les différentes galeries de prêt-à-porter qui restent illuminées jusqu'au petit matin, l'œil ne voit plus ce qu'il regarde, car l'esprit devine ce que les choses expriment en se dégageant de leur opacité historique. Il va sans dire que l'on guette l'arrivée des nouvelles collections d'habits de l'Aïd et on aime faire le tour de toutes les boutiques pour comparer les prix et connaître les nouvelles tendances, sachant que des rabais importants ont été enregistrés un peu partout en ville. Et la gent féminine ne lésine pas sur les dépenses, surtout en ce qui concerne les produits de maquillage, la coiffure à la mode, les jouets pour enfants, sans oublier les tenues vestimentaires modernes ou celles portées par les femmes voilées. D'autre part, la nuit du Destin, on rendra visite à la fiancée du fils pour lui offrir le moussem composé essentiellement d'un bijou en or, d'ustensiles en cuivre et d'un service de table en cristal. En fait, nul ne peut rester insensible à cette ambiance conviviale de la ville avec ses échoppes et ses pâtisseries qui ne désemplissent pas et dont les odeurs sont irrésistibles. D'un autre côté, beaucoup de femmes s'activent à préparer à domicile les gâteaux traditionnels de l'Aïd afin d'en faire goûter les proches et les amis : baklawa aux pistaches, samsa à la pâte d'amande, boules aux noisettes, cornes de gazelle, ghraïba, makroudh aux amandes ou aux dattes parsemés de grains de sésame. En un mot, des pâtisseries qui empruntent à la poésie un fragment de leur magnétisme et qui se parent de tout leur prestige. Cependant, quelques jeunes mères de famille jettent leur dévolu sur la mère ou la belle-mère qui accepte de les assister à accomplir cette tâche qui est un art. Enfin, certaines femmes débordées par leur boulot s'approvisionnent en gâteaux auprès des pâtisseries les plus réputées, mais dont les prix augmentent d'année en année. Quant aux prévoyants qui craignent une pénurie de pain les jours de l'Aïd, ils préparent à l'avance leur pain chez eux, car les Kairouanais conservent jusqu'à nos jours de grandes traditions dans le processus de fabrication du pain. Enfin, durant la dernière semaine du mois saint, on multiplie les prières et les introspections et dont le point culminant coïncide avec la célébration de la Nuit du Destin à la Grande mosquée Okba.