Son spectacle porte le nom de «liqaa», qu'on traduira par«rencontre», mais qui aura surtout le sens de «retrouvailles». Il était prévu le 19 juillet mais a été reporté pour cause de deuil national. Il n'était pas question pour lui de l'annuler car Hammamet reste son théâtre d'amour. Lotfi Bouchnaq retrouva donc son public vendredi soir avec sa passion et son professionnalisme, mais n'hésita pas à dire: «Je chante à chaque fois comme si c'était la dernière fois!» Le présentateur sur scène (maladroit), lui, nous l'annonce comme si c'était la première fois. Et, sur les gradins, plus de huit cents personnes font résonner le demi-cercle à l'entrée de l'artiste, vêtu d'un smoking noir et nœud pap. Il s'incline à la manière d'un soldat respectueux et discipliné: «Ena jondi, ena jondi !» (je suis un soldat), a-t-il l'air de dire et Dieu sait le respect qu'il a pour la discipline. Le chant libre et le cœur vaillant L'orchestre composé de dix-sept musiciens et non des moindres, dont huit violons, sont guidés par la baguette magique de Abdelhakim Belgayed. Tawfik Zghonda au Qanoun et Hamadi Mabrouk au tar, ses vieux compagnons, veillent au grain. Quant à la chorale, elle est essentiellement composée des voix du «Club Farabi», mais aussi des trois ou quatre voix habituelles qui connaissent son répertoire par cœur. Des musiciens d'El Farabi font partie de l'orchestre, dont nous reconnaissons Ellouze au luth. «Quand l'âme sent le parfum de votre amour, et que le cœur livre ses secrets...». Le ton est donné... Tawfik Zghonda y ajoute une touche nostalgique. Puis un dawr des plus beaux, composé par l'artiste, son domaine de prédilection : «Ah ya mahboub, hobbak maktoub ala bab errouh»... L'œil est fermé pendant que ses doigts titillent les cordes de son luth. L'artiste est ailleurs ; il vole bien haut, au-delà de l'espace exigu du théâtre... «noughanni kama qablou ghanna errouat...» Hymne au chant... hymne à la vie... «Que restera-t-il après le dernier printemps, sinon la musique»... L'ambiance générale étant ce qu'elle est, il n'en demeure pas moins que Gaza est une blessure profonde qui ne semble pas vouloir se refermer. «Khallik samed ya Falastini...», «Le peuple est le mien et la terre m'appartient...» Pour décontracter l'ambiance, Lotfi passe à un répertoire plus romantique, avec une taqtouqa : «habbitek w tmannitek, w nsit rouhi w ma nsitek...»... (Je t'ai aimée et je t'ai rêvée, je me suis abandonné mais jamais je ne t'ai oubliée). Fidèle à son art mais aussi à l'école qu'il peut représenter, Lotfi lance deux voix féminines (Fattouma et Fattouma, on ne saura jamais les noms de familles !), pour interpréter ensemble une de ses compositions : «Mezel ismek fil ala yet'alla...», un texte «bourgila» pour une Tunisie qui résistera ! La troisième très jolie voix : Ines, enceinte jusqu'aux dents, mais si élégante, interprète de belle façon: «tounsiya w min fadhl rabi alia», signée Jalel Souidi et Lotfi Bouchnaq et déjà interprétée par Leila Hjaiej sur cette même scène. Puis il livre son intérêt et son respect pour «les métiers» : le jardinier, le boulanger et le menuisier, même s'il a quelques réserves sur ce dernier, car c'est lui qui fabrique «al karaci» (les chaises)... en pensant à sa célèbre chanson! Les textes sont écrits par un poète égyptien qui vante les mérites de ces professions si vitales pour nous autres et décrit le rêve de chacun d'eux de trouver l'amour en récompense ! La cerise sur le gâteau Chansons nouvelles, tubes anciens, on était preneurs. Mais, vendredi soir, la cerise sur le gâteau, à notre sens, reste la superbe chanson signée Adam Fethi : «khdaani, khdaani, khdaani ezzmen wjaani...» (la vie m'a trahi, m'a fait trop mal; Maman je voudrais tant revenir à ton ventre où j'étais si bien !) même si «ena mouwaten» continue de nous donner la chair de poule... Le chant continue et l'artiste dose comme il veut même si, en vrai pro, il n'y a pas de place pour les improvisations au gré du hasard : «ena ma andich zhar ; cheraa kaennou jnina; inti chamsi inti...» Mais, pour «ritek ma naaref win» (Ali Loueti - Anouar Brahem), il invite sa «compagne» dans la série télé «Maktoub» à l'interpréter avec lui: Jouda Najah n'en demandait pas tant. Ambiance de fête, de plaisir, qui continue avec Nassaya (de Hamadi ben Othmen) et la célèbre: «El ain elli ma tchoufekchi» puis, un clin d'œil à feu Sadok Thraya, «ki idhiq bik addahr ya meziena» Il reste de cette soirée la culture de la perfection, le charisme d'un artiste qui «chante comme si c'était la dernière fois», la générosité, le respect du public et de la profession... Nous le disions plus haut, sa concentration était telle qu'il ne voyait pas le public mais tout se passait comme si la terre entière l'écoutait. Il est évident que nous ne pouvons que saluer cet artiste porteur de projet, qui n'en finit pas d'épouser les justes causes et, à leur tête, la cause palestinienne dont il est désormais inséparable.