Encore une soirée réussie, ce mardi, au Théâtre municipal de Tunis. Avec un orchestre composé d'une vingtaine de musiciens et d'autant de choristes et en reconduisant le programme de son concert donné à Carthage, le 16 août dernier, Lotfi Bouchnaq a offert une belle veillée ramadanesque aux très nombreux spectateurs qui se sont bousculés pour trouver leurs places à l'intérieur de la Bonbonnière. Mais là au moins, ils en ont eu pour leur argent (et pour le dérangement s'ils n'avaient fait que répondre à une « invitation »). Une fois de plus, le public tunisien a montré le grand amour qu'il voue à la musique de Bouchnaq lequel ne l'égare pas trop loin de ses repères artistiques traditionnels. Le chant de Lotfi s'inscrit très souvent en effet dans la lignée des succès inoubliables de ses aînés, fils prodiges du terroir : Cheikh el Ifrit, Raoul Jorno, Ali Riahi, Hédi Jouini, Sadoq Thrayya, Hédi Kallel, Mohamed Jammoussi et à un degré moindre Youssef Témimi. Les paroles simples et évocatrices du poète Adam Fathi interprétées par la voix virile et très expressive de Lotfi réussissent toujours à réconcilier le mélomane tunisien avec la musique qu'il a tant aimée depuis les années 30 et 40 du siècle passé. Avec Bouchnaq, on renoue sans peine avec l'âge d'or de la chanson locale et orientale. La recette paraît simple ; encore faut-il savoir comme Adam Fathi écrire de si belles choses avec des mots de tous les jours et pouvoir, comme le fait si bien Bouchnaq en comptant sur ses impressionnantes potentialités vocales, traduire en chants gais ou tristes tous les méandres de l'âme humaine. Honorer son art, d'abord ! Mardi soir, Lotfi Bouchnaq a administré, avec une emphase froissante parfois et quelques gestes inutiles, la preuve qu'il respecte et son art et son public. Presque aucune faille dans l'exécution de ses chants, une présence vocale et scénique très convaincante, une excellente communication avec les spectateurs et surtout cette fidélité aux genres musicaux auxquels il doit ses succès d'hier et d'aujourd'hui. Au final, son concert fut digne d'un chanteur de sa classe et de sa générosité. Le public ne s'y est presque jamais trompé : Lotfi mérite largement sa sympathie et une bonne place parmi ses idoles de toujours. Un reproche quand même juste pour ne pas verser totalement dans le dithyrambe suspect : il concerne les poèmes « engagés » d'Adam Fathi, déclamés ou chantés par Bouchnaq. Nous redoutons par-dessus tout le triomphalisme qui en empreint la majorité, ce ton flatteur dont on espère relever « le moral des troupes » et qui confine souvent aux discours démagogiques passionnés de ceux-là mêmes qui, à des moments récurrents de son histoire, ont leurré la nation arabe et causé sa ruine. Que Lotfi chante à la gloire de l'Irak, c'est louable dans l'absolu ! Mais quel Irak célèbre-t-il aujourd'hui : celui magnifié par les mille et une nuits, celui qui a défié-sans en avoir vraiment les moyens- les ennemis de sa prospérité ou bien celui qui maintenant s'entretue et se déchire sous les regards impuissants ou cyniques du monde. Méfiance, Lotfi : art et démagogie font très rarement bon ménage. Continue plutôt à nous régaler musicalement : c'est aussi ton devoir d'artiste engagé ! Badreddine BEN HENDA ------------------------ Les à-côtés du spectacle *Le concert a commencé à 22 heures 45 et s'est poursuivi jusqu'à environ une heure du matin. A notre sortie du Théâtre, l'Avenue Habib Bourguiba nous a parue plus animée qu'elle ne l'était deux heures plus tôt. *Le Théâtre municipal a fait le plein, mardi soir. Il paraît que les invitations distribuées avec trop de largesse par l'un des sponsors de la soirée sont à l'origine de la gabegie monstre qui régna avant le début du spectacle. Nous autres journalistes, nous dûmes nous contenter de places incommodes, juste sous le poulailler. Les deux rangées du parterre réservées par les organisateurs aux hommes de la presse furent très tôt prises d'assaut par une majorité de spectateurs et de spectatrices venus manifestement pour tout autre chose que la rédaction d'un article ! *La climatisation n'était pas parfaite et l'on dut aux différents étages de la Bonbonnière recourir à toutes sortes d'éventails rudimentaires. *Le premier artiste à féliciter Lotfi Bouchnaq à la fin du spectacle était Lotfi Boundqa qui monta sur scène embrasser le chanteur. Ce n'était visiblement pas pour une séquence de la caméra cachée ! * Bouchnaq programma plusieurs solos qui, tour à tour, mirent en évidence les talents du pianiste, ceux des deux citharistes, du premier violoniste et du flûtiste. Le chanteur n'oublia pas non plus de rendre hommage aux choristes de la troupe Al Farabi qui l'accompagnait. *La deuxième partie du spectacle fut la plus interactive : il y avait de quoi, puisque Bouchnaq y interpréta ses tubes les plus populaires et la célèbre « Ki dhiq bik eddahr ya miziana » de feu Sadoq Thrayya.