La cellule de crise pilotée par Mehdi Jomâa multiplie à un rythme effréné la suspension des activités des associations caritatives. Transformée en gouvernement de crise, la cellule risque de marginaliser la justice qui se trouvera dans l'obligation d'avaliser ces décisions Existe-t-il un lien entre la révocation douce de ses fonctions de Slim Briki, ancien chargé de l'Unité de suivi des affaires des associations et des partis à la présidences du gouvernement, d'une part, et la multiplication, d'autre part, des décisions de suspension des activités des associations caritatives, à travers la République, accusées de financer les activités terroristes et de blanchir l'argent affluant de l'étranger ? La décision prise, il y a deux jours, par la cellule de crise chargée du suivi de la situation sécuritaire relative au renforcement du contrôle des dons et des aides financières étrangères destinés à ces mêmes associations et aux partis politiques est-elle venue en réponse aux violations constatées ces derniers jours, plus particulièrement à la suite de l'éclatement de l'affaire des deux voitures blindées livrées par l'Etat des Emirats arabes unis au président de Nidaâ Tounès, Béji Caïd Essebsi, en vue «d'assurer sa protection personnelle et celle des policiers chargés par le gouvernement de l'accompagner dans ses déplacements et ses activités», comme l'a confirmé le bureau de presse du parti dans son communiqués explicitant les conditions de la réception du cadeau émirati. Un gouvernement de guerre qui ne dit pas son nom Les communiqués de la cellule de crise présidée par Mehdi Jomâa contenant des mesures quotidiennes se suivent désormais à un rythme effréné. Reste à savoir comment le paysage politique et civil national réagit à ce flot de décisions et comment les politiciens et les juristes saisissent leurs objectifs et leurs visées. Pour Abdelwaheb El Héni, président du parti Al Majd, «les choses sont claires et il n'est pas sorcier de découvrir que la cellule de crise s'est transformée en un gouvernement de guerre formé sans aucune base légale au détriment du Conseil des ministres qui n'a pas tenu une seule réunion depuis la formation de la cellule. Pire encore, cette cellule a vidé les institutions nationales de leurs prérogatives à l'instar du Conseil supérieur des armées et du Conseil national de sécurité qui n'assistent pas aux réunions de la cellule de crise qui est devenue pratiquement un Conseil ministériel restreint chargé des affaires sécuritaires». Notre interlocuteur estime également qu'il y a «un lien direct aussi bien entre le limogeage de Slim Briki, le don émirati à Béji Caïd Essebsi que le contrôle des finances litigieuses des associations caritatives». «Seulement, ajoute-t-il, le problème n'est pas lié à la personne de Slim Briki, mais bien à la structure elle-même et à son rattachement au Premier ministère. Je voudrais revenir à la décision de Béji Caïd Essebsi déplaçant la création des associations et des partis du ministère de l'Intérieurs au Premier ministère en 2011. A-t-on donné à la structure en question les moyens dont elle avait besoin pour qu'elle exerce ses fonctions dans les règles, sachant qu'à l'époque où tout se passait au ministère de l'Intérieur, on disposait des informations administratives et sécuritaires qu'il fallait pour tout contrôler». Abdelwaheb El Héni attire l'attention également sur le fait qu'aujourd'hui, «la Tunisie n'a pas de chef suprême des forces armées puisque Moncef Marzouki, qui est censé occuper ce poste, consacre son énergie et son temps à d'autres dossiers dont en premier lieu sa propre campagne électorale en vue d'un deuxième mandat au Palais de Carthage. Pourtant et face à l'impossibilité pour Marzouki d'honorer sa fonction, il existe une solution constitutionnelle prévue dans la petite Constitution toujours en vigueur. Mehdi Jomâa peut accéder provisoirement à la présidence de la République, sans passer par l'aval de l'Assemblée nationale constituante, mais à condition que Marzouki lui concède ce droit et se désiste à son profit». Les droits de l'Homme à préserver à tout prix Abdelmajid Abdelli, enseignant universitaire de droit, analyse les faits sous l'angle purement juridique, considérant que les «décisions prises par la cellule de crise pilotée par Mehdi Jomâa constituent une ingérence claire dans l'action de la justice puisque c'est au ministère public que revient le devoir de soulever l'affaire des associations caritatives de son propre gré, sans attendre les instructions du chef du gouvernement». A propos de la suspension des activités de ces associations (157 associations jusqu'au vendredi 8 août), le Pr Abdelmajid Ebdelli estime que le gouvernement n'avait pas à prendre de telles décisions qui violent carrément le texte du décret-loi de septembre 2011 relatif à la création des associations et des partis politiques. Et c'est bien la justice et exclusivement la justice qui a le droit de rendre de tels jugements. Quant à ceux qui invoquent la situation sécuritaire particulière qui sévit dans le pays pour justifier ces abus, elles oublient que les libertés individuelles sont sacrées et elles ne sont pas à restreindre sous aucun prétexte même dans les circonstances exceptionnelles».