Lors d'une rencontre, la semaine dernière, avec un parterre d'experts et de journalistes, Mehdi Jomâa, chef du gouvernement, a plaidé la mise en place d'une stratégie globale pour la lutte antiterroriste. Nouvelle ? Que non, plutôt inédite. Elle n'existait même pas, à l'en croire. «Ce qui m'a estomaqué de prime abord, c'est que nos gouvernements naviguaient jusqu'ici à vue. Il n'y a aucune vision globale et à long terme. Or, il faut avoir une vision stratégique, une stratégie globale», a-t-il martelé (voir La Presse du 12 août). Ghazi Jeribi, ministre de la Défense, énumère les éléments de la stratégie. Assurer le bouclage du jebel Chaâmbi ; éradiquer le sanctuaire des terroristes; investir la montagne (ce qui semblerait de mise depuis avril dernier sans pour autant éradiquer les attaques meurtrières des terroristes !); se munir des équipements adéquats qui, jusqu'ici, faisaient défaut; s'adapter aux techniques de la guerre asymétrique adoptée par les groupes armés. Là, n'en pouvant plus guère, je soulève une question que j'estime cruciale, une objection même : «Et la sécurité militaire ? Et les renseignements militaires ? Depuis que le président de la République avait démis il y a une année, pour des considérations scabreuses, le général en charge de la sécurité militaire, trois responsables s'y sont succédé. Un intérimaire s'en occupe toujours !». Le chef du gouvernement acquiesce, en simulant une moue navrée : «Vous avez raison», concède-t- il. Le ministre de la Défense précise qu'on a procédé il y a peu à la création de trois nouvelles unités : une unité de renseignements, en étroite collaboration avec le ministère de l'Intérieur, une unité de reconnaissance et une unité de préparation et de soutien psychologique. Le commando de l'armée ayant mené avec brio l'opération du dimanche 3 août dans les parages du Kef aurait bénéficié de la coordination de l'unité de renseignements et de l'unité de reconnaissance. Je soulève une autre objection : «Et les engins militaires munis de dispositif anti-mines et qui croupissent toujours, étrangement, dans les hangars alors que les soldats tombent sous les mines antipersonnel ? Et les hélicoptères de combat qui font défaut?» Là aussi, on se veut rassurant, tout en demeurant discret. Désormais, les Hammer blindés de l'armée sont opérationnels. Les hélicoptères de combat débarqueront sous peu. Les consultations avec les fournisseurs vont bon train. Reste la frontière avec la Libye, une passoire de 459 km. Les terroristes y entrent et en ressortent comme dans un moulin, avec armes et bagages. Mehdi Jomâa le concède volontiers : «Désormais, nos frontières ne seront plus des passoires. Jusqu'ici c'étaient de véritables tuyaux ouverts». Et de raconter qu'à l'issue de sa visite à ces frontières en mars dernier, il était revenu à Tunis la peur au ventre quant à la pérennité de l'Etat tunisien: il n'y a pas le moindre scanner, le système d'information est défaillant, la corruption sévit. L'environnement est vicié. Dans certaines familles, on trouve de tout, le terroriste, le policier, le douanier... La contrebande est fluide, cinquante dinars et puis s'en vont. Et de promettre que la vapeur sera renversée incessamment : « Fin août, la Tunisie sera cadenassée, comme un fort. La sécurité sera définitivement renforcée tout au long des frontières». Les relations avec l'Algérie ont été resserrées. On agit d'un commun accord, on échange les informations, on coordonne les opérations communes sur le terrain. Mais, dans tous les cas de figure, les interventions et déploiements de l'armée tunisienne se confinent à la seule Tunisie et ceux de l'Algérie se confinent à l'Algérie. Les choses sont claires, nettes et précises. Sans équivoque. Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Flanqué des ministres de la Justice, de l'Intérieur, de la Défense et de hauts responsables sécuritaires, le chef du gouvernement ne se fait pas d'illusions. Il fait allusion aux trois mille personnes nommées dans l'administration sur des bases partisanes et n'ayant aucune relation avec le militantisme. Il indique qu'il a dû changer pas moins de 130 cadres dans la douane. Il concède que la chose la plus rare qu'il a trouvée en Tunisie, c'est la stratégie. Et qu'«il nous faudra encore trois à quatre ans pour venir à bout de la contrebande». C'est dire que la Tunisie ne sera pas cadenassée comme un fort d'ici la fin août. Elle est encore poreuse. Le terrorisme y a des niches politiques, partisanes, idéologiques...(nous y reviendrons dans notre livraison de demain).