Avec le report des débats de l'ANC au 1er septembre prochain, l'adoption de la loi contre le terrorisme et le blanchiment d'argent risque d'être compromise C'est la loi de la révolution par excellence. La loi contre le terrorisme et le blanchiment d'argent, objet de tous les débats passionnés dans l'hémicycle du Bardo, de toutes les craintes et de tous les tiraillements partisans, est de nouveau dans les tiroirs de l'ANC, en attendant la reprise des travaux de la Constituante le 1er novembre prochain. Entretemps, beaucoup d'eau va couler sous les ponts des partis en proie à des luttes intestines concernant les têtes de liste des prochaines élections législatives. Certains élus, anciens militants, disciplinés, parfois exemplaires ont été écartés et ne feront pas partie de la nouvelle équipe. Ennahdha, qui a bouclé, hier, ses listes, en a remercié plus de 60 sur 89. L'on peut comprendre que les partis cherchent à redorer leur blason et à regagner la confiance de leurs électeurs en renouvelant leurs représentants au futur parlement, mais cela ne va-t-il pas influer sur le moral des troupes en place à l'hémicycle. D'autant que, par ailleurs, le taux élevé d'absentéisme a compromis l'avancement des travaux de la Constituante, notamment pour ce qui concerne la loi contre le terrorisme et le blanchiment d'argent dont seuls 12 articles sur 136 ont pu être débattus et adoptés? A ce titre, il convient de se demander si les constituants qui n'ont pas été reconduits par leurs partis dans les listes électorales ont encore la légitimité — au moins morale — de statuer sur la loi contre le terrorisme? Et les constituants que Mustapha Ben Jaâfar envisage de sanctionner pour cause d'absentéisme fréquent seront-ils présents, eux, au Palais du Bardo le 1er septembre prochain? Contexte inopportun M. Amine Mahfoudh, expert en droit constitutionnel, ne mâche pas ses mots et est convaincu que la loi contre le terrorisme ne sera pas adoptée dans le contexte actuel de préélections et même de campagne électorale, et considère qu'il en est mieux ainsi. «J'étais toujours opposé à cette loi, car celle de 2003 est une des meilleures au monde. Il suffit d'appliquer ses dispositions législatives. Par ailleurs, il est erroné de croire, estime-t-il, qu'une simple loi suffit pour éradiquer le terrorisme qui est d'abord une affaire culturelle. Le terrorisme ne va donc pas être réglé par la Constituante car, au moment où beaucoup parlent de droits de l'Homme, le terrorisme gagne du terrain». Pour l'ex-ministre de la Justice au sein de la Troïka, M. Noureddine Bhiri, la légitimité des élus de l'ANC est effective jusqu'à l'élection du nouveau parlement. Si bien que pour le dirigeant d'Ennahdha, la poursuite des discussions sur la loi antiterroriste et son adoption est un devoir national. Tout en rappelant, non sans fierté, avoir été derrière l'application de la loi antiterroriste de 2003 après la révolution lors de l'incendie du Tribunal de première instance à Séjoumi, évitant ainsi au pays un vide juridique dangereux. M. Bhiri rappelle que la loi contre le terrorisme est la priorité des priorités et que les élus qui veulent adopter une nouvelle loi plus respectueuse des droits de l'Homme doivent assister assidûment aux travaux de l'ANC dès leur reprise et nourrir les débats de manière constructive. Les élus en précampagne illégale La position du parti El Majd par rapport à cette question est on ne peut plus claire : «L'ANC n'a plus de légitimité pour légiférer», déclare son président, M. Abdelwahab El Hani. Deux raisons sont avancées pour l'expliquer. D'abord, l'entrée du pays dans une phase électorale, sachant que dans toutes les traditions démocratiques, l'assemblée parlementaire prend congé à partir de la parution du décret présidentiel portant convocation du corps électoral aux prochaines élections. Ensuite, en débattant d'un projet d'une si grande importance, l'ANC fait dans l'abus de pouvoir manifeste car, explique M. El Hani, les députés et leurs partis sont candidats aux prochaines élections et sont donc en précampagne électorale en toute illégalité et dans un contexte d'inégalité des chances entre les différents partis. Pour le président d'El Majd, les élus de l'ANC doivent se contenter de publier un communiqué en deux lignes pour garantir au pays une protection juridique infaillible jusqu'aux prochaines élections. Ce communiqué devra insister sur le maintien en vigueur de la loi antiterroriste de 2003 ainsi que sur l'importance des garanties constitutionnelles inscrites dans la Constitution.