Par M'hamed JAIBI Le mode de scrutin actuel, qui avait été retenu pour les élections de la Constituante, favorise les petits partis et affaiblit les oligarques régionaux. Il a été choisi au lendemain de la Révolution, lorsque les multiples groupes en présence ignoraient totalement leur poids électoral et voulaient s'assurer une présence même symbolique au sein de l'Assemblée. Ce choix a été favorisé par les courants de la gauche radicale, qui milite traditionnellement, comme en Europe, pour la proportionnelle, et par le parti Ennahdha, dont le président, ayant longtemps vécu à Londres, est attiré par le parlementarisme anglo-saxon. Le mode de scrutin proportionnel présente l'avantage d'une représentation fidèle des différentes tendances politiques de la société au sein du parlement. Il y reproduit la carte politique du pays selon une distribution en pourcentage très proche, si l'on excepte le critère du minimum requis, qui varie selon le pays (5%, 3% ou même 1%...). Mais il conduit souvent à une chambre législative trop éclatée, parfois incapable de dégager une majorité gouvernementale. Imaginez, en Tunisie, si le CPR et Ettakatol n'avaient pas choisi de s'allier à Ennahdha, cette dernière n'aurait, malgré ses 40%, pas eu de majorité pour son gouvernement. Le pays aurait été ingouvernable. L'autre inconvénient majeur de ce mode de scrutin, c'est que les états-majors des partis politiques s'y substituent à la libre initiative des citoyens et des militants dans la sélection des candidats et l'ordre de préséance dans les listes. C'est la direction de chaque parti qui choisit les têtes de liste et le classement des autres candidats dans chaque région, empêchant de fait une représentation fidèle des intérêts spécifiques des différentes sous-régions et sensibilités diverses, qu'un scrutin individuel identifie de la meilleure manière. Ce dernier permettrait, dans des zones territoriales plus ramassées et homogènes, une libre compétition entre des personnalités locales bien connues qu'il est aisé d'évaluer politiquement et moralement à leur juste valeur. Alors que la proportionnelle régionale actuelle donne aux états-majors partisans le loisir d'exercer une véritable «dictature démocratique» autant sur les militants du parti que sur l'ensemble des citoyens de chaque grande circonscription régionale (aux dimensions de tout un gouvernorat) et des multiples délégations qu'elle englobe, qu'elles soient agricoles, touristiques, artisanales ou industrielles... Bref, notre mode de scrutin met en place une sorte de démocratie partisane que certains politologues appellent «partitocratie», et qui accorde aux états-majors de tous nos partis, sans exception, la latitude de forcer la décision en orientant le choix souverain de l'électeur. Et c'est ce fonctionnement qui pousse à la multiplication des partis et des états-majors.