Par Omar BOUHADIBA Dans le film culte des années post-Vietnam, Apocalypse Now, Marlon Brando, jouait le colonel Kurtz, renégat de l'armée américaine qui menait sa propre guerre, utilisant des méthodes peu conventionnelles. Parce que Brando était devenu obèse entre-temps, Coppola, le metteur en scène, se vit contraint de changer le script. C'est donc en gros plan, à la lumière dansante d'un feu de bois, que Brando prononçait ce qui devait devenir l'un des plus célèbres monologues de l'histoire hollywoodienne. S'adressant à Martin Sheen, dans le rôle d'un officier des forces spéciales, Kurtz décrivait ses méthodes, dans ce qui s'appelle depuis le monologue de l'horreur. ‘' L'horreur, disait Brando de sa voix rauque, a un visage. Tu dois t'en faire une amie. L'horreur et la terreur mentale sont tes amies. Sinon, elles deviennent des ennemis à craindre ‘'. Qu'elle comporte des cinéphiles avertis ou qu'elle ait atteint les mêmes conclusions d'elle-même, Daech en Irak semble avoir adopté les méthodes du colonel Kurtz. Les images de têtes coupées, parfois entre les mains d'enfants, les exécutions sommaires de dizaines de victimes, filmées en direct, les femmes, que l'on pousse comme du bétail vers le marché pour être vendues, glacent le sang. Dans une espèce de guerre psychologique haute définition, on nous sert l'horreur sur Youtube, où des barbus, longs cheveux dans la nuque, tuent, en hurlant Allah Akbar, des innocents qui meurent en appelant Allah Akbar. Pour nous, Tunisiens, ces images deviennent encore plus insoutenables, quand trop souvent, on reconnaît chez ceux qui tuent, un accent bien de chez nous. A Kasserine, Jebel Chaâmbi ou El Menzah, on égorge des jeunes à peine sortis de l'adolescence et on abat des pères de famille en bas de chez eux... Daech est déjà ici. Son drapeau noir a été hissé sur l'université de La Manouba et ailleurs. Même drapeau, mêmes méthodes, même férocité. Complices, complaisants ou incapables importe peu. En créant ou en facilitant la naissance de cette monstruosité, les partis de la Troïka sont responsables et coupables. Pour ceux qui doutent encore, le web regorge d'images où la complicité entre certains politiques, et les terroristes est bien documentée. L'infiltration des services sécuritaires, amplement discutée sur les plateaux de télévision, serait révélatrice d'un plan machiavélique bien pensé, dont les maîtres d'œuvre ne peuvent être que des membres de l'ancien gouvernement. Et au milieu de cette terrible crise, notre président, dans un de ces gestes incompréhensibles dont il a le secret, n'a rien trouvé de mieux à faire que de décapiter l'armée, ajoutant un épisode catastrophique à une présidence déjà pitoyable. Le Tunisien, bon vivant, gouailleur, parfois frondeur, a bien des défauts, mais il n'est ni violent ni méchant. La capacité à transformer certains de nos enfants en monstres sanguinaires est effrayante. La machinerie de lavage de cerveau est bien en place dans notre pays, comme en témoignent les scènes de joie qui virent certains quartiers de la capitale célébrer, drapeau noir au vent, l'assassinat à Kasserine de jeunes Tunisiens par d'autres jeunes Tunisiens. On raconte au Moyen-Orient que l'infrastructure politico-militaire de Daech serait largement tunisienne, comme le seraient certains ministres du nouvel Etat islamique. On doit faire face aujourd'hui à une nouvelle réalité. La Tunisie n'est pas importatrice de terroristes comme on l'avait d'abord cru. Elle en est aujourd'hui un grand exportateur, ce qui n'aurait pu se faire sans l'active coopération des partis de la Troïka, dont certains membres appelaient ouvertement au départ vers la Syrie. On n'ose même pas penser au jour où ces gens-là vont revenir au pays. L'ennemi, il est vrai, est redoutable, comme le démontre la disproportion des pertes, à peu près de 40 contre 1. Les terroristes frappent où et quand ils veulent, et se retirent sans une égratignure même de zones soi-disant étroitement quadrillées. L'attaque du domicile de Ben Jeddou, où quatre jeunes sont tombés lors d'une bataille de 45 minutes à quelques mètres d'un commissariat de police, en est une illustration tragique. Là encore, pas un blessé chez les terroristes, qui prirent, dit-on, le temps de fumer quelques cigarettes avant de se retirer en bon ordre, n'ayant rencontré d'autre acte hostile que quelques jets de cailloux. Comme avant, nous n'en savons pas plus sur l'identité des assaillants. Il faut se rendre à l'évidence, sous-armées, sous-informées, sous-commandées, nos forces ne sont pas de taille. Elles doivent se reprendre, s'il le faut demander de l'aide, et extirper ce cancer pour toujours. Il est étonnant que, après tout ce que nous avons vécu, les partis de la Troïka aient le culot de se présenter encore aujourd'hui comme des partis responsables, et que les politiciens se précipitent pour figurer sur leurs listes. Le Tunisien, semble-t-il, a la mémoire courte. Quand le 26 octobre, le moment de mettre le bulletin dans l'urne sera venu, il faudra se souvenir des mots du colonel Kurtz : ‘'L'horreur a un visage''. Ce visage, nous l'avons déjà vu; c'est celui de l'Irak de Daech aujourd'hui, et peut-être celui de la Tunisie demain.