Les étudiants à la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba étaient nombreux, mais les cours ont été suspendus une nouvelle fois à cause de problèmes qui opposent certains étudiants salifistes à l'administration. Un étudiant parmi les manifestants a pris la parole au milieu de nombreux étudiants qui scandaient «Allahou Akbar, Allahou Akbar» pour formuler certains conseils : «Attention, certains étudiants essayent de vous provoquer, ne réagissez pas!» Les discussions entre étudiants islamistes et les autres se sont envenimées au point qu'ils en sont venus aux mains. En effet, la cour de la faculté s'est transformée en quelques minutes en un terrain de combat entre les deux camps. A l'extérieur de la faculté, une voiture de la Garde nationale est stationnée, contrôlant la situation à distance sans intervenir pour le moment. Dans son bureau et entouré de quelques professeurs, M. Habib Kazdaghli, le doyen de la faculté, est stupéfait face à ces étudiants qui ont dépassé toutes les limites allant jusqu'à enlever et déchirer le drapeau national qui représente toute la Tunisie pour le remplacer par le drapeau noir. «Une jeune étudiante qui a essayé d'ériger le drapeau national a été battue», regrette notre interlocuteur. Deux étudiantes totalement voilées (des mounaqabat) sont allées jusqu'à mettre sens dessus-dessous le bureau du doyen, brisant la vitre. Ces étudiantes avaient voulu discuter avec M. Kazdaghli sans vouloir patienter quelques minutes. Contre la violence et le non-respect de la loi «Nous sommes pour le dialogue et nous n'avons jamais refusé de discuter avec qui que ce soit, tempère le doyen. Mais de là à semer le désordre dans le bureau et à m'agresser, voilà qui dépasse toutes les limites. J'ai porté plainte contre cet acte immédiatement». Le doyen a quand même reconnu ses agresseurs qui étaient deux étudiantes en 2e année arabe. Le procureur de la République était sur les lieux vers 16 heures pour constater la situation. Des barbus sont revenus plus tard, vers 19 heures, pour lancer des pierres en direction du bureau... L'administration va jusqu'à confirmer qu'elle accepte le niqab pour qui veut le porter dans le cadre de la liberté vestimentaire. Mais en classe, des critères pédagogiques sont établis stipulant que toute étudiante doit avoir le visage découvert pour que le professeur puisse communiquer avec elle. A noter que six étudiants ont été traduits devant le conseil de discipline après un rapport écrit par les professeurs et des questionnaires adressés aux contrevenants pour appliquer les décisions après une période de quinze jours. Les délibérations du conseil de discipline ont abouti à un non-lieu, un blâme, un avertissement, une suspension des études de six mois pour deux étudiantes et d'un an pour un autre. «Ces étudiantes sanctionnées sont toujours là dans l'enceinte de la faculté, je me demande ce qu'elles viennent faire», s'interroge le doyen de la faculté qui compte quelque 8.000 étudiants et étudiantes. Face à cette situation tendue, le doyen a téléphoné au président de l'Université de La Manouba, au secrétariat de M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement, et bien sûr au chef de cabinet du ministre de l'Enseignement supérieur qui a promis des renforts par un message court (SMS). Le doyen estime que «depuis l'indépendance, nous n'avons pas vécu une telle violence de la part des étudiants et au sein de la faculté tunisienne». Aujourd'hui, tout le monde semble contre la violence et l'irrespect de la loi, mais personne ne réagit sur le terrain comme s'il était question d'une décision politique. Notre interlocuteur souhaite une application stricte de la loi sur la base de la décision du Tribunal administratif relatif au statut du doyen, qui lui donne le droit de gérer la faculté dans son ensemble. «Ces étudiants n'ont pas de revendications à formuler mais des objectifs qu'ils veulent atteindre. Pour preuve, ils ont enlevé le drapeau national», pense M. Kazdaghli qui défend sa place au sein de la faculté: «Ils n'ont pas le droit de me dire dégage car je suis élu par le conseil scientifique». Pourtant, à l'extérieur, plusieurs étudiants crient : «Dégage, dégage! Allahou Akbar, Allahou Akbar!» Les professeurs sont venus, mais n'ont pas pu travailler. Toute la journée a été consacrée à la discussion qui a tourné à la violence entre certains étudiants. Bref, les drapeaux noirs sont entrés dans la faculté. Et les deux parties campent sur leurs positions. L'administration tient à ce que les étudiantes accèdent à la classe à visage découvert et à appliquer les sanctions du conseil de discipline alors qu'elles tiennent à entrer en classe en niqab. En l'absence de décisions claires de la part des autorités et d'intervention sur le terrain, la situation demeure tendue et les cours suspendus. Lors du premier sit-in, les forces de l'ordre avaient discuté pacifiquement avec les étudiants en colère pour trouver une solution acceptée par tous mais juste pour quelque temps... Présidence de la République : Un acte lâche et condamnable La Présidence de la République a dénoncé l'acte perpétré, hier matin, à la faculté des Lettres de La Manouba, par des étudiants salafistes et consistant à «retirer le drapeau national du haut de l'édifice qui se trouve à l'entrée de l'établissement universitaire», le qualifiant d'atteinte à l'un des principaux symboles de la nation, à savoir l'université, de même qu'il représente «un acte lâche et condamnable, et un crime à l'encontre de la patrie et des martyrs». Le communiqué rendu public par le porte-parole officiel de la Présidence de la République considère, également, «la profanation du drapeau national, comme étant une agression contre l'un des symboles de la conscience nationale collective pour lequel tant de Tunisiens ont sacrifié leur vie, au fil de la lutte commune contre la colonisation et la tyrannie». Le président de la République exhorte, dans ce même communiqué, les autorités sécuritaires et judiciaires à traiter cet incident et les actes similaires «avec le maximum de rigueur et de force afin que nul ne s'aventure dorénavant à porter atteinte au drapeau national». Il convient de rappeler qu'un grand nombre d'étudiants de la faculté des Lettres de La Manouba ainsi que des éléments extérieurs de l'établissement universitaire appartenant au courant salafiste se sont rassemblés devant l'entrée principale de la faculté, brandissant des drapeaux noirs sur lesquels étaient inscrits «Il n'est point d'autre Dieu que Dieu». Ces individus ont, d'autre part, scandé différents slogans exigeant l'autorisation aux étudiantes portant le niqab d'assister aux cours. Certains parmi ces étudiants ont retiré le drapeau de la Tunisie de l'entrée principale de la faculté pour lui substituer un drapeau noir, et ce, durant presque une heure.