On la connaît par ses performances spectaculaires. Habillée en superwoman, elle sillonnait l'avenue Bourguiba, appelant à voter pour le meilleur des mondes et la meilleure des Tunisie. Super tunisienne, elle appelait à choisir un super président. Son invitation au public à inventer un super programme faisait rêver même ceux qui n'avaient jamais rêvé, et la dérision était aussi pour elle une façon de garder espoir. Moufida Fedhila est de ces Oana —Objet artistique non identifié— qui a toujours une mesure d'avance sur l'air du temps, et dont les aventures artistiques sont souvent surprenantes. Cinéaste, actrice, dessinatrice, elle assume toutes les casquettes et revendique toutes les formations : une école des Beaux-Arts à Caen, des études de théâtre et de cinéma à Paris, des performances en Europe et en Tunisie, souvent dans des musées. C'est dans «La Boîte» qu'on la retrouve, cette rentrée. Et il est vrai que l'espace et la démarche de ce lieu pas comme les autres lui conviennent. La Boîte, c'est cet espace au cœur de la zone industrielle de Charguia où Fatma Kilani invite des artistes qu'elle sélectionne pour leur talent, leur audace, leur originalité. Elle leur offre les moyens et le lieu d'exposition : un cadre de rencontre avec un public auquel ils n'ont pas accès. Et parallèlement elle permet aux employés de la zone industrielle, qui eux ne fréquentent pas les galeries, de rencontrer des artistes. C'est d'ailleurs à eux qu'est consacré le premier vernissage, c'est d'eux que viennent souvent les critiques et les commentaires les plus pointus. Un deuxième vernissage est ensuite organisé pour les galeristes, les collectionneurs et les journalistes. Moufida Fedhila y présente, cette rentrée, le résultat d'une expérience entamée dès 2008. «Dessines-moi le monde», a-t-elle demandé à des dizaines de personnes dans la rue, en Tunisie et en Europe. Ces mondes, que les gens dessinaient pour elle, avaient de curieuses similitudes : pour tous, ou du moins la plupart, le centre du monde se trouvait là où eux étaient. Pour la plupart d'entre eux, le monde dessiné était sans frontières. Et pour cette artiste qui s'intéresse aux «murs» géopolitiques, aux murs qui s'érigent en Palestine, au Yemen, au Zimbabwe, cette totale absence de frontières, cet univers virtuel fluide et libre, étaient totalement fascinants. Les dessins et les cartes qu'elle expose sont les résultats de cette quête, mais aussi de son travail personnel. Et, pour cette artiste dont le livre de chevet est Le Petit Prince, celui qui demande «dessines-moi un mouton», il est un détail sur lequel elle ne s'est pas arrêtée. Et qu'elle qualifie de choix esthétique quand on le lui fait remarquer : le monde qu'elle présente en carte vedette est noir, sombre et brillant.