Nous sommes-nous jamais demandés pourquoi nous aimons la fiction ? Pourquoi nous croyons aux contes de fée ? D'où vient cette idée du «prince charmant», sinon de la fiction ? Vous est-il arrivé d'attraper une insomnie parce que vous n'aviez plus rien à lire avant de vous coucher ? Combien de livres avez-vous aimés et offerts, sans compter, aux gens que vous aimez ? Etes-vous du genre télé plateau ? Vous êtes-vous demandé combien de films ou de feuilletons vous consommez par jour ? Qu'est-ce qui fait que l'on peut même devenir accro à la fiction? D'abord, si nous croyons aux fictions, «c'est tout simplement parce qu'elles sont des représentations, et que les représentations sont des machines à produire des croyances (1)». Nous sommes ainsi faits : de croyances ou autoréférences. Elles sont la structure de notre expérience subjective. Et notre subjectivité se base sur des expériences sensorielles, issues de nos sens : VAKOG (visuel, auditif, kinesthésique, olfactif, gustatif). Certaines croyances sont liées à des états internes forts. Ce sont celles qui déterminent nos valeurs (ce qui est important pour nous) et nos identités (qui nous sommes). C'est pour cela que dans la vie (réelle) ou dans la représentation de la vie (la fiction), il existe beaucoup de situations, apparemment anodines, mais qui activent particulièrement nos croyances. C'est à ces situations et à ces croyances que nous attachons le plus de «sens», parce qu'elles engagent qui nous sommes et ce qu'il y a d'important pour nous. Une question s'impose : la fiction peut-elle contaminer notre vie ? D'après Jean-Marie Schaffer (*), si nous adhérons à la fiction, c'est foncièrement parce qu'elle est créatrice d'univers mimétiques, c'est-à-dire de modèles virtuels fondés sur une relation de ressemblance avec la manière—quelle qu'elle soit—dont nous concevons la réalité. En quoi la fiction diffère-t-elle alors de notre univers de croyances réelles ? Comme l'indique Aristote dans sa Poétique, elle en diffère parce qu'elle nous immerge dans un univers possible, alternatif, qui n'existe pas mais pourrait ou aurait pu exister. Autrement dit, explique Schaffer, pour que nous puissions adhérer à une fiction, il faut et il suffit qu'elle nous immerge dans un univers dont la réalité éventuelle soit de l'ordre du concevable. Le critère de la réussite d'une fiction, ajoute-t-il, ne réside pas dans sa fidélité — quoi qu'on entende par ce terme — à une réalité qui serait une donnée à copier, mais dans sa force modélisante. «C'est à travers sa puissance de projection que la fiction agit, et cette puissance ne dépend pas tant de son degré de similarité ou d'écart absolu avec la réalité que du caractère réglé qui est la source même de la cohérence ou de l'incohérence du monde fictionnel : ceci explique pourquoi même l'univers le plus éloigné de la réalité emporte notre adhésion, dès lors qu'il possède une cohérence interne propre.» Si une fiction franchissait les limites de ce que nous sommes capables de nous représenter comme un être dans le monde possible, nous ne pourrions plus y croire. (1*) Jean Marie Schaffer, co-auteur de l'ouvrage avec Nathalie Heinich : «Art, création, fiction, entre sociologie et philosophie»