Par Abdelhamid GMATI Nous fêterons, donc, l'Aïd Al-Idha, ce samedi 4 octobre. Et comme chaque année, la course au mouton bat son plein. C'est à celui qui aura le meilleur et le plus beau mouton au meilleur prix. Pour les Tunisiens, cette fête constitue une occasion pour des agapes, un festival de la bouffe : méchoui, andouillettes, ragoût, tout est prévu selon un rituel immuable. Le grand problème pour les consommateurs est le prix de cet ovin. Comme chaque année. L'an dernier, le prix d'un mouton atteignait les 500 dinars. Cette année on parle de 1.000 dinars. Le citoyen lambda peut-il supporter ces prix ? En début de semaine, dans les places publiques de certaines localités de Tunis (Cité Ettadhamen, par exemple), des acheteurs faisaient l'acquisition d'agneaux, pesant de 15 à 20 kilos, pour 200 et 250 dinars. Reste à savoir si ces agneaux ont été sevrés : dans le cas contraire, ils ne peuvent être acceptés pour le sacrifice. Les éleveurs ne sont pas contents. Ils se plaignent des prix excessifs des fourrages, ce qui alourdit leurs charges et les contraint à ajuster leurs prix ; ils prétendent vendre de 11 à 12 dinars le kilo, ce qui fait que le prix du mouton ne dépasse pas les 500 dinars. Les prix prohibitifs sont le fait des intermédiaires, des spéculateurs. Il se trouve que ces agriculteurs qui amènent leurs bêtes sur les marchés hebdomadaires préfèrent vendre tout le lot (20, 30, 40 moutons) en une seule fois. Cela, seuls les intermédiaires peuvent le faire. Lesquels ont aussi des frais : transport, fourrages, enclos, personnel. Certes, les autorités concernées, ouvrent des marchés «du producteur au consommateur». Mais cela ne peut suffire aux centaines de milliers d'acheteurs. On a également importé 6.000 moutons d'Espagne. Idem, c'est insuffisant pour équilibrer le marché. Et cette mesure, effectuée également l'an dernier, est décriée par les agriculteurs qui estiment que cela nuit à l'élevage tunisien. Et ils précisent : au lieu d'importer des bêtes de l'étranger, ce qui constitue une hémorragie de devises et ne sert qu'aux intérêts de l'importateur, la société Ellouhoum pourrait faire l'acquisition d'un grand nombre de moutons tunisiens de façon à imposer des prix acceptables. Ce problème du prix du mouton à l'approche de l'Aïd n'est pas propre à la Tunisie. Il se pose chaque année aux autres pays du Maghreb et même en France. Dernièrement, le Conseil régional du culte musulman et les présidents des mosquées ont lancé un appel aux fidèles pour qu'ils boycottent, dans le Languedoc-Roussillon, l'achat de mouton. Lors de l'Aïd. «Cet appel au boycott vise à protester contre le prix de vente des moutons qui passe de 115 ou 120 euros pendant l'année, à 280, voire plus de 300 euros au moment de la fête musulmane». Et le Conseil explique : «Il faut que les maquignons et les fermiers comprennent : je veux bien qu'on tonde le mouton mais pas le Musulman», rappelant que le sacrifice du mouton n'était «pas une obligation» à l'Aïd-El-Kébir. «On peut aussi donner de l'argent à une association caritative en France ou aux nécessiteux de sa famille». On rappelle que feu le Roi du Maroc, Hassen II, avait, en tant que Commandeur des Croyants, annulé les sacrifices en 1961et en 1981, à cause d'une trop grande sécheresse, du faible nombre de bêtes et des difficultés économiques du Royaume. Il avait alors imité le prophète Mohamed qui avait sacrifié deux moutons, l'un au nom du sacrifice personnel, l'autre pour la Oumma musulmane. Le Roi avait sacrifié une bête pour lui et sa famille et plusieurs autres au nom du peuple marocain. Chez nous, un appel à boycott avait été lancé par quelques organisations. Mais le mufti de la République tunisienne, Hamda Saïd, a publié un communiqué, vendredi 12 septembre 2014, dans lequel il dément avoir prononcé une fatwa ou émis une position officielle pour boycotter, cette année, le sacrifice de moutons lors des festivités de Aïd El Idha, à cause de la hausse de leurs prix. Il a rappelé que ce rituel est «une sunna prophétique appuyée pour ceux qui ont les moyens d'acheter un mouton», alors «tout musulman ayant la capacité de l'accomplir doit le faire, les autres ne sont pas tenus de le faire». Des dizaines de Tunisiens, de la classe moyenne, ont décidé de ne pas acheter de moutons, se contentant de quelques kilos de viande, d'un morceau de foie et de quoi faire des andouillettes. Histoire de sacrifier à la traditionnelle grande bouffe. En commémorant le sacrifice d'Abraham en cet Aïd-Al-Idha, on est supposé fêter le sacrifice. Un sacrifice de substitution que l'on retrouve dans notre passé méditerranéen, bien avant l'Islam, du temps des Carthaginois, par exemple. Et au fil du temps, la notion de sacrifice s'est estompée et rares sont ceux qui parlent de ce qu'ils vont distribuer aux pauvres.. Comme quoi, la tradition, les us et coutumes prennent le pas sur les préceptes religieux, quitte à se faire tondre en même temps que le mouton.