Les adeptes du gouvernement d'union nationale, dont les voix s'élèvent de jour en jour, se sont-ils déjà partagé le butin avant que le premier bulletin de vote ne soit glissé dans les urnes en prévision des législatives ? Alors que la campagne électorale législative n'a pas encore bouclé sa première semaine, voilà que beaucoup de voix s'élèvent pour appeler à la formation d'un gouvernement d'union nationale, quels que soient les résultats qui sanctionneront le rendez-vous du 26 octobre. Même si les urnes sortiront un parti majoritaire qui pourrait constituer à lui seul le prochain gouvernement sans avoir à conclure d'alliance avec un autre parti ou des indépendants, les tenants de la thèse du gouvernement d'union nationale estiment qu'il n'a pas à accaparer le pouvoir, pour des considérations qu'impose la préservation des intérêts supérieurs du pays. En d'autres termes, les candidats au palais du Bardo auront beau multiplier les rencontres et les promesses les plus alléchantes, irréalistes ou irréalisables, les électeurs auront beau choisir, en toute âme et conscience, les politiciens qu'ils jugent répondre à leurs attentes, le Trésor public aura beau, de son côté, consentir des centaines de millions de l'argent du peuple au profit des milliers de candidats à la députation, le résultat de la grande compétition serait joué d'avance. Au soir du 26 octobre, l'on ne devrait donc pas s'attendre à un gouvernement nidaiste, ni à un gouvernement nahdhaoui ou à un gouvernement destourien ou frontiste, mais à une équipe ministérielle composée de tout le monde (les gagnants et les perdants ensemble, peu importe les scores qu'ils récolteront). Mais, cette fois, le prochain gouvernement va durer une période de cinq ans, contrairement à ceux de la Troïka I et II et à celui de Mehdi Jomaâ qui avaient comme mission de conduire le pays pour une période transitoire. Et les interrogations de fuser : ce semblant d'unanimisme sur le gouvernement d'union nationale développé par les principaux partis politiques considérés comme les plus influents et les plus forts sur la scène politique nationale, dont en premier lieu Ennahdha et Nida Tounès, ne traduit-il pas un acte de confiscation prématurée de la volonté du peuple qui pourrait réserver bien des surprises aux pronostiqueurs si sûrs de leurs analyses concoctées dans des bureaux feutrés ? Il faut éviter les coalitions fragiles Mohamed Bennour, porte-parole d'Ettakatol, préfère retourner à la période de formation du gouvernement de la Troïka à l'issue des élections du 23 octobre 2011 pour dire : «A l'époque, notre parti était pour un gouvernement d'union nationale ou d'intérêt national, parce que nous étions convaincus que la nature de l'étape transitoire imposait qu'on édifie, ensemble, la démocratie». «Aujourd'hui, ajoute-t-il, les choses ont changé et les législatives du 26 octobre devraient aboutir à un gouvernement qui va gérer le pays pour une période de cinq ans. D'où la nécessité de prendre en considération les deux facteurs suivants : d'abord, la recherche d'une majorité large pour le prochain gouvernement, dans le but de garantir sa stabilité et la cohésion nécessaire entre ses membres. C'est pour cette raison qu'il faut éviter les coalitions fragiles et rechercher les alliances solides. En deuxième lieu, il faudrait que ceux qui coaliseront pour former le futur gouvernement s'entendent au maximum sur les grandes orientations et la démarche à suivre pour les concrétiser. Pour nous, la coalition n'est pas un acte mathématique mais plutôt un acte hautement politique, et toute alliance précaire pourrait faire perdre à ses auteurs leur crédibilité auprès des citoyens». Et Bennour d'exprimer son pressentiment qu'il se prépare des accords sous la table entre «certaines parties qui veulent se partager le butin sans prendre en considération le fait que les choses ont changé. Ils oublient également que les Tunisiens peuvent réserver de réelles surprises à la classe politique et que rien n'est joué d'avance. La ruée vers les postes peut expliquer ce discours mais qui sait ce que nous réserve le 26 octobre 2014». Les perdants auront leur mot à dire Pour Lazhar Akremi, porte-parole de Nida Tounès, dont le président Béji Caïd Essebsi vient de dire au journal Essarih textuellement : «Nous ne gouvernerons pas seuls même si nous récoltions la majorité des sièges», il est une vérité que nul ne peut que contester. «Aujourd'hui, la Tunisie n'est pas prête pour être gouvernée par un seul parti, même au cas où il remportait 90% des sièges au prochain Parlement. Il n'existe aucun parti capable de protéger son pouvoir au plan politique, sécuritaire et social. La raison est bien simple, c'est la rue qui impose encore son ordre du jour, d'où la nécessité d'un consensus national, le plus large possible, en vue de pousser le pays vers la stabilité. Et la stabilité et la sécurité veulent que l'on fasse participer au prochain gouvernement les perdants du 26 octobre 2014. C'est la seule manière de garantir qu'ils s'investissent dans l'édification de la Tunisie démocratique et qu'ils participent effectivement à la lutte contre le terrorisme. En un mot, nous sommes obligés d'opter pour ce choix que commandent les intérêts supérieurs de notre pays», précise-t-il. Quant à ceux qui répliquent qu'ils ont voté pour Nida Tounès ou Ennahdha et qui se verront surpris que leurs partis gagnant les élections ont opté pour une alliance avec d'autres partis dont ils ne partagent pas les opinions et les choix, Lazhar Akremi leur répond : «Oui, vous nous avez accordé votre confiance. Et nous considérons qu'il est de l'intérêt de la Tunisie. Il est vital pour notre révolution que personne ne rate le train de la démocratie».