Au lendemain de son «Appel de la Tunisie», véritable coup de sifflet magique marquant, dès le 26 janvier 2012, la fin de la dispersion des oppositions à la Troïka, M. Béji Caïd Essebsi n'a cessé de capitaliser les ralliements et les bonnes intentions de tous ses anciens rivaux modernistes et démocrates L'ancien Premier ministre est devenu la boussole et l'étoile du nord de l'ensemble des forces politiques, sociales et associatives refusant le modèle islamiste au profit d'un projet réformateur moderniste qui démocratiserait le modèle bourguibien. Mais le nombre pléthorique ayant rejoint son mouvement et la gestion du nombre qui s'en est suivie ont posé le problème d'un organigramme capable de structurer efficacement toutes ces énergies, en respectant la pluralité de leurs historiques et références, tout en construisant un appareil de combat compact apte à imposer le retour au projet moderniste, malgré une Assemblée hostile. Cette problématique a été longtemps occultée, masquée qu'elle était par le combat au quotidien dans le cadre d'une alliance plus large (le Front du salut national) prônant le consensus et un gouvernement de compétences indépendantes, conformément aux mots d'ordre lancés par BCE. Une fois ces revendications satisfaites, elle revient au-devant de la scène, à la faveur des redéploiements en vue des prochaines élections — désormais envisageables — et des prises de position de MM. Lazhar Akremi et Abdelaziz Mzoughi. Pour comprendre ce qui se passe au sein de Nida Tounès, il faut noter l'extraordinaire affluence générée vers son parti par Béji Caïd Essebsi, suite à ses prises de position et son programme préliminaire. Nida Tounès s'est vite transformé en parti d'alternative au pouvoir de la Troïka et en candidat à la bonne gouvernance, ce qui n'a pas manqué de battre le rassemblement d'un nombre considérable de citoyens de toutes les classes sociales et de tous les horizons autour du leader et de ses compagnons de la première heure. Et il a bien fallu organiser et structurer, tant bien que mal, tout ce beau monde. Ce n'est qu'avec l'adhésion massive d'anciens du RCD que certains remous apparaîtront et que des voix discordantes inaudibles s'exprimeront sous cape. La note critique formulée par 11 hauts cadres de Nida Tounès, Lazhar Akremi et Mondher Bel Haj Ali en tête, puis les attaques publiques — fort médiatisées — de Abdelaziz Mzoughi mettront sur le tapis un certain nombre de critiques quant au centralisme et aux «risques de mainmise». Mzoughi déplore «l'absence d'un organe de décision politique réelle, d'un bureau restreint de 15 membres tout au plus, se réunissant à profusion et formé de compétences issues des quatre confluents identifiés par Béji Caïd Essebsi au sein de Nida Tounès» (destouriens, indépendants, transfuges de gauche et syndicalistes). Pour lui, cela permettra de faire en sorte que la prise de décision soit consensuelle entre les composantes, alors qu'elle serait actuellement «opaque et personnelle». Et Mzoughi d'estimer «inimaginable d'aller aux élections sans convoquer un congrès national de Nida Tounès, moment important de visibilité, de positionnement et de précampagne électorale, qui permettra de clarifier l'organigramme, d ‘occuper le devant de la scène et d'assimiler les débats qui traversent la société tunisienne». Lazhar Akremi, ancien ministre de la transition, aurait abondé également dans ce sens dans la note collective citée plus haut, quoique en des termes moins virulents et en l'absence d'une réelle médiatisation. Aujourd'hui, il préfère proposer une transformation de l'Union pour la Tunisie (UPT), qui groupe quatre partis (Nida Tounès, Al-Massar, le Parti socialiste et le Parti du travail patriote démocrate) en «un parti unifié organisé démocratiquement en courants internes autonomes, apte à rassembler, dans la diversité de ses référents, la grande masse des Tunisiens qui sont opposés au projet passéiste». Akremi prend en exemple l'épopée du Parti socialiste français et les courants et tendances organisés en son sein, lesquels convergeaient en une synthèse consensuelle comme programme défendu par le parti dans son ensemble, avec une direction collégiale issue du congrès. Un congrès semblable à celui dont se réclame Mzoughi, dont seraient issues des structures représentatives de toutes les composantes, en une distribution consensuelle à tous les niveaux de l'organigramme du parti. Car, affirme Mzoughi, «la logique du nombre n'est pas nécessairement celle de la crédibilité», sachant que les structures importantes ne doivent pas être confiées à des «proches» ou sur la base de la «surface financière». Lazhar Akremi et Abdelaziz Mzoughi seraient ainsi tous les deux favorables à un nouveau mode d'organisation du parti de M. Béji Caïd Essebsi, qui se baserait sur un regroupement des différentes sensibilités en courants déclarés qui composeraient ensemble en vue d'une stratégie et d'une synthèse consensuelle. Mais si Mzoughi ne voit pas d'intérêt majeur à élargir les frontières du parti, Akremi tient à voir l'ensemble de l'Union pour la Tunisie se fondre en un parti élargi plus puissant pouvant rassembler la multitude des Tunisiens charmés par le projet que représente désormais, malgré les nuances, M. Caïd Essebsi. Sur cette idée de Lazhar Akremi, les avis sont partagés. Néjib Fessi, coordinateur de la région de l'Ariana, à qui pourtant les structures nationales ne font pas de cadeau, estime cet élargissement risqué et l'organisation en courants discutable. Pour lui, Nida Tounès doit faire valoir la synthèse déjà acquise, opérée par Béji Caïd Essebsi lui-même, où le modèle bourguibien a pleinement épousé la démocratie pluraliste. Et il pense que les alliés au sein de l'Union pour la Tunisie, non seulement tiennent à leurs spécificités idéologiques, mais présentent l'avantage, par ces spécificité, d'élargir l'éventail des alliances au profit de Nida Tounès et du rôle historique essentiel du leader Béji Caïd Essebsi. Maintenant, la transformation de l'UPT en parti confédéral peut effectivement résoudre deux problématiques importantes. Celle des alliances électorales et celle de la gestion consensuelle au sein du parti. Une proposition d'organigramme par courants autonomes, en effet, pourrait charmer les actuels proches alliés de Nida Tounès au sein de l'UPT, tout en offrant une chance sérieuse de dépassement des tiraillements — vrais ou imaginaires — évoqués par certaines personnalités indépendantes, syndicales ou issues de la gauche, quant à la montée en force des courants destouriens et leur présupposée «volonté d'hégémonie».