Par M'hamed JAIBI Nous avons hérité des élections de 2011 cette hantise maladive de l'«argent politique» et de son corollaire, la «publicité politique», deux concepts proprement tunisiens nés de la morosité de notre vie politique passée et de la guerre sans merci menée à «l'argent» par une certaine gauche par trop idéologique, mais qui apprend désormais à compter et à composer. S'est-on prémuni contre «l'argent politique» ? Mais à faire le bilan des élections du 23 octobre 2011, peut-on vraiment affirmer que l'on s'est prémuni contre cet «argent politique» si décrié ? Les cadeaux de campagne ont, en fait, inondé les électeurs, faussé la compétition et dénaturé l'enjeu électoral. Et les pétrodollars n'ont pas manqué de jouer leur va-tout à ce niveau, déséquilibrant davantage les atouts des forces alors en présence. Aussi bien en 2011 qu'en 2014, en croyant éliminer l'argent de la politique et sa publicité, on interdit en fait la plénitude de la fête démocratique et l'extraordinaire créativité qui l'accompagne dans les grands pays démocratiques. Nous n'avons droit ni aux défilés de klaxons, ni aux joyeux nuages de ballons multicolores, ni aux cocardes, gadgets, badges et fanions, ni aux banderoles festoyantes, ni à de grandes affiches expressives, ni à des spots présentant les vues, l'historique et les programmes des partis et listes... Seulement d'austères interventions minutées dans les médias d'Etat et un minuscule affichage calibré où l'on est censé venir déchiffrer les apports et les nuances de la déconcertante multitude de candidats. Techniques et moyens dérisoires Ce alors que l'argent joue pleinement par la bande, et à forte dose, tous les rôles néfastes dont il est capable. Comme ces milliards dont on s'accuse mutuellement, à l'aise sur les écrans, et qui «pimentent» et orientent, malgré nous, les «débats» politiques et la campagne électorale, la vraie ! De tout cela résulte une campagne morose aux techniques rudimentaires et aux moyens déclarés fort dérisoires : affichage légal, réunions dûment autorisées, distribution de tracts après feu vert, porte-à-porte et balade à travers les rues. Trop peu, si l'on veut ancrer le pluralisme et le rôle essentiel qui y revient aux partis. Ces partis, bien qu'ils soient actuellement bien trop nombreux, représentent la conscience plurielle du peuple tunisien et l'échafaudage de l'exercice souverain du pouvoir en démocratie républicaine, à travers la représentation au sein des institutions. Le financement des partis Le problème du financement des partis est universel, il n'a été résolu que dans de rares pays. En France, tous les partis, de droite comme de gauche, en souffrent par-delà tout ce qu'ils se permettent comme irrégularités flagrantes ayant souvent traîné leurs auteurs — boucs émissaires — devant la justice. Chirac a fini par être condamné à deux ans avec sursis pour les emplois fictifs de son parti à la mairie de Paris, Sarkozy est soupçonné d'avoir financé sa dernière campagne grâce aux milliards de Kadhafi, Dominique Strauss-Kahn a été écarté des responsabilités par une décision de justice... Sans parler de Bernard Tapie et de tant d'autres affaires louches qui ne seront jamais élucidées, parce qu'elles se situent en définitive au centre du système politique: le financement des partis et des campagnes électorales. Il n'y a pas de politique sans argent ! Les Français le savent bien désormais, mais ils n'ont toujours pas solutionné la question, plaçant l'ensemble de leur classe politique dans un embarras patent. Est-il vraiment nécessaire que les Tunisiens vivent la même situation de non-droit, où l'on voit plusieurs nouveaux riches mener à la baguette (magique) les partis, les médias et les campagnes électorales souterraines ? Au moment où la terne campagne officielle fait mine de respecter les lois restrictives draconiennes qui la réglementent, sous les yeux myopes vigilants de la Haica et de l'Isie.