«La souffrance des gens ne leur suffit pas, il leur en faut encore le spectacle» - La romancière Amélie Nothomb Les industriels de la télévision, conscients de ce besoin qu'ont les gens de se nourrir de chimères, de se consoler des tristesses et des limites de la vie réelle, ne cessent d'inventer et de réinventer la fiction. Ils sont même allés — dans leurs reality shows — jusqu'à filmer la souffrance des gens et la proposer en spectacle. Ils savent bien que nos propres histoires et les histoires d'autrui nourrissent notre imagination. Que le malheur des autres dédramatise le nôtre… Ils «utilisent» l'idée (ou le fait) que le monde est dangereux et nous livrent ses victimes dans des émissions parfaitement scénarisées. Loin d'être des émissions qui filment la vraie vie, les «téléréalité» sont en fait totalement construites. Sophie Serhani, qui tente, à travers son site internet, de prévenir les parents contre l'influence négative de ce genre d'émissions, assure que les missions données aux candidats de «Loft Story», «La ferme des célébrités», «Pop stars»…, et même parfois leurs réactions, sont dictées par la production. Le danger, selon Serhani, est que ces programmes donnent une vision truquée de la vie et des rapports entre les hommes. Les histoires de ces reality shows sont présentées comme des sitcoms (musique de fond, montage…), explique Arnaud Meunier, expert en communication. «La téléréalité utilise de plus en plus les techniques de narration pour devenir une fiction réalité, c'est-à-dire des séries télévisées qui mettent en scène des célébrités ou des inconnus. L'histoire s'inspire de leur propre vie ou de situations fictives. Les principaux événements s'entremêlent pour apporter suspense et émotion. Seuls les dialogues ne sont pas écrits, question de privilégier le côté authentique». La téléréalité menace-t-elle la fiction? Peut-être pas, puisqu'en aucun cas le reality show ne peut remplacer la fiction, seule capable de «représenter» le monde et d'aller jusqu'au bout de l'imagination et du merveilleux. Cela dit, ces émissions, adoptées et adaptées par toutes les chaînes de télévision et notamment arabes, fonctionnent également sur «le merveilleux»; et elles prétendent même donner des solutions «miracles» à tous les frustrés du monde. Usant, comme on l'a écrit plus haut, des techniques de narration de la fiction, elles ne peuvent pas ne pas séduire et clouer des millions de spectateurs dans leurs fauteuils. Mais, lorsque la fiction se met à faire sa téléréalité, c'est autre chose… Quand la fiction se «téléréalise» Selon Arnaud Meunier, expert français en communication, cette passion pour les héros de la téléréalité devient une réelle source d'inspiration pour la fiction, et ce, à partir des années 90 avec la fameuse série américaine Urgence, ou ER (titre original). En filmant le quotidien des urgences comme si on y était (caméra à l'épaule, dialogues techniques, images violentes…) on donne l'impression au téléspectateur de vivre le sauvetage en direct. «Si à cela on ajoute des informations sur la vie personnelle de ces héros, on obtient le jackpot», écrit Meunier. Depuis le succès incroyable de ER, ce genre de séries qui marie réalité et fiction s'est multiplié. Grey's anatomy produite vers l'année 2007 et filmée dans un décor d'hôpital également, mais dont l'histoire est plus romancée, a volé la vedette à ER. Actuellement, deux autres séries tournées dans le milieu hospitalier sont diffusées sur pas mal de chaines dans le monde. Il s'agit de Private practice, dont le rôle principal est interprété par l'une des héroïnes de Grease anatomy et Dr House. Ce nouveau genre de fiction a même séduit les producteurs égyptiens qui ont réalisé, il y a deux ans, une copie, mais non conforme, de ER.