La scène politique tunisienne ne cesse de se composer, se décomposer et se recomposer. Les alliances se font et se défont au gré des intérêts électoraux et des affinités idéologiques. Le Dialogue National en a accéléré le mouvement et précipité le rapprochement des partis politiques, quels qu'en soient la taille et le poids électoral. Dans une certaine mesure, le Dialogue National a joué le rôle d'activeur, dopant la mobilité dans le paysage politique national. De la gauche à la droite, passant par le centre, la quête de coalition ne se dément pas et personne ne s'en cache. Les sondages d'opinions, au-delà de leur crédibilité et de leur faculté à restituer une « capture d'écran » réelle de la réalité nationale sur le terrain, offrent malgré tout des indices d'analyses et des angles de réflexion aussi bien pour l'opinion publique que pour la classe politique, de nature à permettre des pistes de positionnement ou de repositionnement. Une simple lecture de la carte politique actuelle montre que trois locomotives, certes de distinctes puissances et de différentes bases populaires et géographiques, tractent toute la plateforme politique, à savoir Nida Tounes, Ennahdha et Front Populaire. Il est bien clair que ce dernier est distancé par les deux premiers, mais il garde toutes ses chances de réduire l'écart et de s'ériger comme alternative ou troisième voie. Contrairement à Nida Tounes et Ennahdha, qui peuvent se permettre le luxe, la part respective d'électorat oblige, de se présenter aux élections à titre individuel, sans chercher à nouer des arrangements avec d'autres formations, le Front Populaire n'est pas dans cette posture. Il ne peut combler la distance que dans le cadre d'une alliance beaucoup plus dense et étoffée. En serait-il capable ? De par leur force électorale présumée, du moins dans les sondages, Nida Tounes et Ennahdha sont en mesure de jouer la tactique postélectorale et de miser sur les résultats du scrutin pour négocier les accords qu'il faudrait en vue de constituer une majorité parlementaire avant de former son propre gouvernement, et ce conformément aux dispositions pertinentes de l'article 89 de la Constitution dont l'énoncé accorde la primature au parti ou coalition de partis ayant obtenu le plus de sièges sinon de voix à l'Assemblée des représentants du peuple. Pour le Front Populaire, la trame de fond probable est toute autre. De toute évidence, en prenant les sondages comme hypothèse, il n'est pas en mesure d'être premier en nombre de sièges gagnés ni de s'ériger en minorité de blocage, son score ne lui permet vraisemblablement pas. Dans une logique postélectorale, et pour obtenir des portefeuilles dans le nouveau gouvernement, il n'aura d'autre choix que de s'allier avec Nida Tounes, l'autre option (alliance avec Ennahdha) est automatiquement à la trappe, pour des raisons bien comprises. Par contre, et à juger toujours par les sondages, un bloc préélectoral Nida Tounes/ Front Populaire aurait de fortes chances de glaner le nombre de sièges suffisant pour arracher la primature et le gouvernement en entier d'un seul coup, sans avoir besoin d'associer d'autres partis, même de la même mouvance politique. Il appartient aux leaders du Front Populaire de prospecter ou non dans cette perspective et de décider ou non d'orienter ses efforts vers ce cap. Il y a lieu de souligner que ce scénario pourrait battre de l'aile et risquerait de produire des divisions internes, à en juger par la position que la coordination Front Populaire en France a virulemment exprimée, faisant part de sa farouche opposition à toute alliance avec Nida Tounes. Elément dont les ténors du Front Populaire ne manqueront de tenir en ligne de compte au moment de choisir leur stratégie électorale. Sur un autre plan, d'aucuns estiment que le Front Populaire a épuisé toutes ses opportunités d'élargissement et que son discours et son architecture ont mobilisé tout ce qui était à mobiliser. Sinon d'autres partis et acteurs politiques aurait rejoint ses rangs depuis des lustres. En un mot, le Front Populaire aurait atteint le plafond de son développement, du moins au niveau de sa composition. Ceci dit, son aptitude à accroitre son assise électorale n'est pas à écarter. Tout dépend de son programme économique et social, de son plan de communication, de sa campagne électoral et de son déploiement sur le terrain. En conclusion, seuls trois formations politiques, à savoir Nida Tounes, Ennahdha et Front Populaire détiennent les meilleures cartes dans le jeu d'alliance et disposent des principaux leviers de la donne. Pour les petites formations et autres partis microscopiques, aucun joker. Ils seront contraints de jouer leur va-tout sur un coup de poker à grande mise, ou ça passe ou ça casse. Selon leur importance électorale, et le nombre de sièges qu'ils auront conquis, ils ne peuvent tout au plus que négocier un poste ministériel le cas échéant où une grosse cylindrée aurait besoin de leurs élus pour compléter la majorité parlementaire requise et prendre le pouvoir.