Abdelwahab Meddeb, essayiste, philosophe, érudit, poète et romancier tunisien est décédé hier, jeudi 6 novembre à Paris. Il laisse un grand vide derrière lui et de la tristesse. Attrapé par une « terrible maladie », il est emporté en moins de six mois. Jusqu'à son dernier souffle, Meddeb n'a cessé de se battre pour que vive la liberté. Né en 1946 à Tunis, il a appris l'arabe et le Coran dès l'âge de cinq ans. Et comme il se définit lui-même : « On le sait depuis Freud, c'est un âge où l'on est déjà constitué ». Des attaches fortes et prégnantes qui ne le fixent nullement « à quelque pacte identitaire soumis à l'exclusivisme de l'origine », a-t-il pris soin de préciser au fil de ses déclarations. A la fin des années 1960, il a pris part comme grand nombre d'intellectuels et militants au mouvement « Perspectives tunisiennes », pour s'éloigner ensuite de la politique et de son pays. Car il n'a jamais été « un militant politique au sens strict », hormis un bref épisode maoïste à sa première jeunesse. Ses pérégrinations le menèrent au Maroc, ensuite en Egypte où il a vécu sept ans, et deux ans entre la Syrie et le Liban. Le titre de l'émission qu'il animait chaque vendredi depuis 1997 sur France Culture, «Culture d'Islam » cristallise l'essence même de son œuvre et de ses combats. Il contribuera de 1974 à 1987, en tant que directeur éditorial des Editions Sindbad, à faire connaître des œuvres soufies d'Ibn 'Arabi, Hallâj, Rûmî, et crée sa revue, Dédale. En 1983, Meddeb traduit en français le roman « Saison de la migration vers le nord » du Soudanais Tayeb Salih. Reconnu dans son pays d'accueil, la France, et plusieurs fois honoré, il a reçu le Prix François-Mauriac pour «La Maladie de l'islam», en 2002, le Prix Max-Jacob la même année, pour son recueil de poésies «Matière des oiseaux», et le Prix Benjamin-Fondane pour «Contre-prêches», en 2007. A travers ses écrits, il menait de front plusieurs batailles, mais une lui tenait particulièrement à cœur : « qu'est-ce qui va nous réarticuler avec le train de la civilisation ?», se demandait-il inlassablement, pour répondre aussitôt : « Le projet islamiste ne sera pas la solution », et explique pourquoi : « L'idéologie islamiste prône la fermeture sur soi, l'exclusion de toute altérité. Ils (les islamistes) croient avoir trouvé la solution en s'intégrant au système mondialisé par la finance, la technologie, la consommation, la puissance de l'argent. Par contre, pas un seul de ces pays ou communautés qui sont soumis à la norme islamique ne participe à la créativité dans les domaines scientifique, littéraire, artistique ou des sciences humaines. La plupart des musulmans qui brillent dans la création et l'invention prospèrent en diaspora. Aucune des universités arabes n'appartient à l'élite académique mondiale ». Meddeb est parti, il laisse Amina, sa femme, et Hind, sa fille ; et beaucoup de regret et d'amertume d'être parti si tôt, si vite. Ce Franco-Funisien qui s'est toujours considéré comme citoyen du monde, a choisi d'être inhumé dans sa terre natale de Tunisie. Avant de nous quitter, l'enfant du pays a laissé un testament qu'il faudra continuer à honorer, chacun depuis ses terres : « L'islamisme n'est pas une fatalité, c'est même une interprétation pauvre, bête et détestable de l'Islam, et il y a moyen de construire un autre islam intelligent et aimable à partir des matériaux de la tradition. Tel est le travail de déconstruction que j'ai conduit et qui ne m'est pardonné ni par les islamistes ni par leurs alliés », finit-il par avouer. Il s'est battu, quasiment jusqu'à son dernier souffle, pour une certaine image de la Tunisie, moderne, libre, irréversiblement ancrée dans le XXIe siècle. Son combat sera poursuivi. Seulement, aujourd'hui, laissons de côté les combats et nos démons reposer, et livrons-nous avec courage et dignité à notre peine. Depuis Tunis, cette « seule ville d'Islam (avec Istanbul) où l'on rencontre des femmes souveraines, dévoilées, affranchies, sûres d'elles* », nous vous adressons un vibrant hommage et un dernier au revoir. * Extraits de l'entretien de Meddeb accordé au Courrier de l'Atlas, décembre 2012