La classe moyenne, qui consomme local et dépense dans le pays, permettant ainsi à l'économie de tourner dans ses différents secteurs de production, se retrouve aux abois Les vents ont mal tourné ces dernières années pour ce quI fut une vraie classe moyenne tunisienne. Fini le temps des illusions et des chimères pour ce socle sur lequel repose le pays. Ce fameux losange, facteur d'équilibre et de stabilité, s'est effiloché pour qu'on ait, aujourd'hui, une société dans sa grande majorité ployant sous l'effet d'une infernale hausse du coût de la vie qui a tout balayé des maigres acquis des années d'avant. C'est un véritable retournement de situation qui s'est opéré et il n'a de cesse de prendre de l'ampleur, sans le moindre espoir qu'un tel élan observe même un soupçon de pause. Il ne se passe plus un jour sans qu'une nouvelle hausse ne vienne s'ajouter pour rendre encore plus sombre l'horizon. La classe moyenne... qui consomme local et dépense dans le pays, permettant ainsi à l'économie de tourner dans ses différents secteurs de production, se retrouve aux abois. La plupart des composantes de cette classe peinent à honorer leurs précédents engagements en matière de prêts — logement, achat de voitures, etc. — contractés auprès des banques et des caisses de sécurité sociale. Les dus doivent être payés et ils sont retenus à la source. Le peu qui reste ne satisfait plus aux besoins d'une vie dont le coût monte en flèche. Le petit pécule que certaines familles sont parvenues à dégager de leurs dépenses quotidiennes s'est volatilisé, donnant ainsi un coup fatal à l'épargne aujourd'hui au plus bas. Le manque de liquidités qu'on observe de temps à autre, compensé par l'impression et la mise sur le marché monétaire de nouveaux billets de banque en atteste. Moins d'épargne, c'est moins d'investissement et davantage de marasme. C'est un véritable cercle vicieux qui s'est installé donnant du fil à retordre au gouvernement en manque de ressources. La solution même si elle comporte des risques majeurs sur la stabilité du pays est vite trouvée : puiser encore et encore chez cette classe moyenne composée en majorité de salariés, dans le public ou le privé. Solution à haut risque Il s'agit en fait d'une sorte de replâtrage sans plus. On ne s'attaque pas aux origines des problèmes qui ont conduit à l'impasse. Aujourd'hui, quand vous parlez à un commerçant ou à un prestataire de services de moyenne ou de petite taille, ils vous tiennent le même langage sur les difficultés qu'ils rencontrent pour tenter de tenir le coup et ne pas fermer boutique. Leurs ventes ont chuté et la tendance est toujours la même. Ils parviennent difficilement à rentrer dans leurs frais et à dégager quelques gains pour leurs propres besoins. Ils font partie eux aussi de cette classe moyenne. Ils subissent de plein fouet l'érosion qui a entamé leur pouvoir d'achat. Ils vivaient une véritable symbiose faite de confiance avec une clientèle avec laquelle, ils traitaient sans trop de méfiance avec des facilités de vente qui s'étalent des fois sur une année ou plus. On est sûr, vous disent-ils, qu'à la fin de chaque mois, le chèque ou la traite seront honorés. De nos jours, on ne peut se permettre d'octroyer de telles facilités. Les risques sont réels et on préfère la mévente à une vente aux lendemains incertains. Plusieurs commerces ont mis la clé sous le paillasion, surtout ceux dont les produits sont périssables. Les ventes de fonds de commerce se multiplient partout, mais point d'acquéreurs. Le marasme est total sauf pour quelques activités ayant trait notamment à l'alimentation. Pour le prêt-à-porter, la maroquinerie, on multiplie les promotions pour tenter d'accrocher une hypothétique clientèle, mais en vain. Les soucis sont ailleurs. On attend les périodes de soldes pour espérer voir enfin des acheteurs daigner franchir le seuil de leur boutique. Après trois ou quatre jours, tout rentre dans l'ordre et plus rien à attendre de la rue. Seuls les cafés et les gargottes marchent parce qu'on ne peut se priver de prendre son petit déjeuner ou ne pas manger à midi. Mais on le fait avec parcimonie. Les bons de restauration servent à faire ses emplettes auprès des grandes surfaces et même à acheter des habits chez certains boutiquiers. Les temps sont difficiles et nous obligent à devenir économes voire radins sans vraiment l'être, vous assurent ceux à qui vous vous adressez pour tenter de comprendre ce changement dans les comportements. On devient radin malgré soi ! C'est bien d'être économe et très regardant sur la dépense. Ce n'est nullement une tare. Mais encore faut-il avoir quoi économiser pour le mettre de côté. Et c'est là que le bât blesse. Tous ceux de cette classe moyenne aujourd'hui paupérisée vous affirment qu'ils sont à bout de souffle et ne savent plus à quel saint de vouer tellement ils sont saignés à blanc. Pour parer aux imprévus, on ne peut plus avoir recours à son banquier pour un petit prêt personnel, les connaissances et les proches sont dans la même situation. Beaucoup de familles ont dû vendre des biens (bijoux, voitures et même immobilier) pour faire face à des situations cruciales qui n'attendent pas, pour se faire soigner ou subvenir aux besoins d'un enfant qui continue ses études à l'étranger. J'en connais plusieurs qui ont recours à ces solutions extrêmes parce qu'ils étaient dans l'impossibilité de faire autrement. Véritable waterloo économique que celui vécu par ce que fut cette classe qui faisait la fierté de ce pays et qu'on cite souvent comme exemple dans le voisinage pour son épanouissement et la part active qu'elle prenait dans la construction de la Tunisie de par son dynamisme et son sens aigü du patriotisme. Elle fait tout pour tenir bon, intellectuellement et matériellement, mais viendra le jour où elle cassera et ça sera la plus grosse perte que le pays ait jamais connue. Elle emportera dans sa chute tout l'édifice bâti depuis que les Tunisiens ont recouvré leur indépendance. Sauver cette classe de l'état de dépérissement vers lequel elle fonce droit, c'est sauver tout le pays. Son économie qui s'en ressentira, et dont les conséquences seront encore plus désastreuses sur les équilibres sociaux, avec le chômage qui gagnera davantage de terrain et toute sorte de délinquance qui s'ensuivra. Préserver le pouvoir d'achat de cette classe, c'est aussi préserver les intérêts de cette caste de nantis qui ne sait pas qu'elle aussi sera entraînée par le courant qui n'épargnera qu'une minorité puissante d'entre elles. On ne peut se permettre, quelles qu'en soient les raisons de dilapider un tel capital, gage de la pérennité de ce pays qui ne peut supporter les antagonismes que fera naître l'émergence de deux classes aux antipodes, avec une minorité accaparant toutes les richesses et une écrasante majorité par les injustices de toutes sortes. La classe moyenne a assez payé, et on devra en tenir compte pour qu'elle ne soit pas une fois de plus mal récompensée. Elle vit déjà dans la désillusion et l'amertume ! Un petit effort de la part de ceux qui ont toujours profité des largesses des pouvoirs successifs serait le meilleur remède pour sortir de l'état de crise économique et sociale.