Par Mustapha ATTIA (Ecrivain) Si l'homme a reçu le divin don de la parole pour nommer toutes choses, l'écrit, disait Maurice Druon, «lui a été pour laisser marque de son passage», comme l'étoile éteinte laisse dans le ciel la trace de ce qu'elle fut. Ainsi, l'écrit ne peut être qu'une accusation caractérisée, quand il n'est pas à l'origine de divers réquisitoires. Quand les critiques émises contre lui revenaient, François Mitterrand disait: «Il y a des écrivains qui veulent ma perte» il les traitait tour à tour de «prétentieux», d'«incapables», de «minables» d'une «ignorance crasse»!! . C'est pour cela que ceux qui se plaignent d'avoir été surpris par les accusations dont ils ont fait l'objet à cause de ce qu'ils écrivent n'ont encore rien compris à l'essence de l'écriture, n'ont pas éprouvé ses fardeaux et n'ont pas découvert ses dangers. Il se peut que les accusations assiègent l'écrivain de tous les côtés, y compris ceux avec lesquels il croyait avoir signé un armistice, voire ceux qui constituent son fief par appartenance ou par alliance. Les traités d'histoire focalisent certes sur les accusations qui émanent des différents appareils du pouvoir contre les écrivains, mais ils en ont oublié de bien plus importantes et bien plus dramatiques avec en premier lieu celles que les «adversaires de la vérité» savent décocher contre les manieurs de plumes. Certains pourraient voir en ces accusations, malgré leur petitesse, le signe de la réussite de l'écrivain «victime», car une écriture qui n'attire pas la jalousie et l'envie des autres demeure une écriture sèche, sans âme et sans vie, une écriture sans saveur et sans couleur, comme tous les faits routiniers avec lesquels l'homme vit sans même s'en rendre compte. Que l'écrit se hisse à un niveau tel qu'il en devient efficient et profitable, il reste quand même tributaire de son aptitude à provoquer les réactions du récepteur et à améliorer ses attitudes. Plus les réactions du récepteur sont négatives et chargées d'accusations, plus les indices de l'efficience de l'écrit sont élevés, plus elles sont fades et ordinaires et plus ces indices chutent vers le niveau le plus bas. Mais s'il subit l'outrage de l'indifférence et du désintéressement, alors cela signifie que la seule place qui lui sied est la poubelle de l'oubli! L'écrit, disait Claude Imbert, «se visite, s'acquiert, implique l'activité d'élucidation du lecteur, porte l'idée, la pensée formelle, la définition». Mais, plus vastes encore, les domaines où l'écrit ajoute la densité du temps, le surplomb de la réflexion, la puissance du symbole. Il est seul à évoquer ces évolutions où l'avenir vient à nous sur des pattes de colombe ! Dernièrement, un écrivain s'est plaint des campagnes menées tambour battant contre lui à cause de ses écrits. Il était dans un piteux état, dépité et très affecté, presque sur le point d'en conclure qu'il lui faut quitter définitivement le monde de l'écriture pour aller chercher ailleurs son gagne-pain. Je n'avais pas d'autres choix que de lui rappeler ce qu'avait dit le grand écrivain Maurice Druon: «et ce qui mérite jugement de l'avenir, est-ce que nous avons gâché, faussé, délaissé, ou ce que nous avons tenté et partiellement réussi?» C'est cela peut-être notre moisson: «qui sème les mots récolte les maux».