Par Mustapha ATTIA Dans tous les pays du monde, le sport, et spécialement le football, attire les regards. Son flux «récupérateur» dépasse le cercle traditionnel des amateurs du ballon rond pour couvrir toutes les catégories sans exception. Car le foot est désormais un phénomène social, culturel et économique influent. Les spécialistes pensent que ce phénomène a commencé à se répandre, au rythme de l'hégémonie mondialiste, il y a plus d'une décennie. Et je me souviens très bien avoir lu chez plusieurs écrivains français comme feu Jean-François Revel, ou Jacques Attali, Claude Imbert, Jean D'Ormesson et bien d'autres, des articles très denses sur le football et le sport de façon générale, à l'occasion de la Coupe du monde organisée en France, en 1998. (Ils nous font penser à leurs ainés : Henry de Montherlant, Camus, Céline, Giraudoux, Maurois et même Proust!). L'embarras avait gagné beaucoup d'écrivains dans le monde occidental, parmi ceux qui sont restés dans leur tour d'ivoire, isolant l'écriture du vécu quotidien et le spoliant de tout pouls vital pour en faire une pratique faussement transcendante, n'étant ni supérieure par la forme et le contenu ni populaire par l'intention et les objectifs. Ils ont été étonnés de voir la pensée française dégringoler dans les «bas-fonds» du football pour s'encanailler, allant jusqu'à accuser certains écrivains et penseurs français de chercher à s'attirer la sympathie de la rue et de s'inscrire dans le courant dominant afin de profiter de l'événement. Comme si l'écriture était autre chose, ou comme s'il est écrit qu'elle restera une fuite en avant vers un monde d'isolement et de marginalisation, voire d'hallucination ! Quand certains ont vu des célèbres penseurs français, des théoriciens politiques, analyser à la télévision française les rencontres de la Coupe d'Afrique des nations que notre pays avait abritée en 2004, et discuter les avis des anciens joueurs comme Alain Giresse et d'autres entraîneurs réputés comme Aimé Jacquet, Jean Tigana ou Claude Leroy, ils ont été éblouis et se sont interrogés sur le sens caché de ce phénomène. Que le penseur et le politicien s'abaisse au niveau de «l'analyse des rencontres de football» ! Comme si la pensée et la politique devaient être en rupture avec les préoccupations du peuple ! Les gens étaient surpris, au stade du 7-Novembre de Radès, lors de la rencontre des quarts de finale de la Coupe d'Afrique des nations (2004) entre les deux équipes, tunisienne et sénégalaise, de voir le grand politicien français feu Philippe Séguin en train de commenter la rencontre pour une chaîne française. Certains ont en ri, d'autres en étaient surpris ! De même, quand le grand poète palestinien feu Mahmoud Darouiche avait écrit à propos du football, les gardiens du temple de la poésie ont exprimé leur mécontentement haut et fort. J'ai eu moi-même ma part de critiques acerbes, après avoir publié quelques articles concernant le football. J'ai été accusé par certains amis et autres lecteurs d'avoir dévalé la pente de l'écriture populaire qui ne sied pas à un intellectuel et à un penseur. C'est que le regard que nous portons sur la culture et la pensée est un regard hautain et il est bien sûr injustifié. Notre attitude vis-à-vis du sport et du football plus spécialement est une attitude dépréciative qui n'est guère acceptable. De nos jours, le sport est un phénomène global, il est ludique en apparence, mais culturel et civilisationnel, social et économique, politique et identitaire, dans son essence. Nous ne nous arrêterons plus désormais, comme on faisait avant, au résultat des rencontres. Les échos se poursuivent bien au-delà pour toucher tous les secteurs sans exception. Car la globalisation galopante a tout transformé en un phénomène général et en un événement planétaire. Elle a mis à terre tous les obstacles traditionnels qui cloisonnaient les secteurs. Elle a effacé les spécificités, déraciné les constantes et changé le rythme des changements. Elle a aussi reformulé les pratiques et les comportements pour les fonder en un moule unique, même si ses couleurs restent multiples en surface. A partir de là, tout devient l'affaire de tout le monde, auquel on est obligé de réagir et dont les résultats nous touchent directement. C'est pour cela qu'il faut le prendre en compte en toute chose. Ainsi, la Coupe du monde que la France avait abritée en 1998 avait-elle donné une impulsion époustouflante au mouvement de pensée dans le pays. Plusieurs publications ont vu le jour qui ont sorti l'écriture française de ses anciens moules. Elle a bouleversé les valeurs dominantes afin de les réarranger en y adjoignant ce que les esprits n'auraient jamais prévu. En Corée et au Japon, les rencontres de la Coupe du monde qui ont été organisées conjointement par ces deux pays y ont ébranlé la composition sociale et l'a durablement affectée. Rien n'a pu faire autant, même pas les événements décisifs de la révolution industrielle et de l'avancée technologique, voire les grandes guerres ou les catastrophes naturelles. Il en a été de même lors de la Coupe du monde de 2006 en Allemagne, et c'est ce qui arrivera sans doute en Afrique du Sud qui organise la Coupe du monde dans sa version de 2010. Quand à l'influence qu'exerce ce phénomène sportif sur l'économie du pays qui les organise, sur le processus de développement et sur les traditions relatives à la consommation de leur pays, il est sans égal. En effet, la question est similaire à une grande mutation intellectuelle et développementale dans la marche des pays. Ainsi le veut la mondialisation ! Et on ne peut l'appréhender positivement que de ce seul point de vue !