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L'écriture qui saigne
Nina Bouraoui
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 06 - 2010

Prix Renaudot pour Mes mauvaises pensées, Nina Bouraoui, à notre avis la plus talentueuse des écrivaines francophones de sa génération, revient avec Nos baisers sont des adieux (Stock), un nouveau roman qui, selon nos libraires, sera très prochainement disponible dans notre pays. En attendant, c'est à une invitation à découvrir l'auteure d'une œuvre forte de plus d'une dizaine de titres que nous vous convions. Une œuvre puissante qui fait écho à tout un pan de la littérature française contemporaine, de Marguerite Duras à Chloé Delaume.
D'Alger à Paris
De père algérien et de mère française, Nina Bouraoui est née le 31 juillet 1967 à Rennes. Son enfance algérienne l'habitera et marquera ses romans les plus personnels, mais c'est la France qui la propulsera écrivaine de renommée internationale. Elle écrit dans la langue de sa mère, sa langue maternelle, mais son écriture possède cet entêtement du Sud, sa violence et sa volupté, sa lumière éclatante et aveuglante. Nina Bouraoui se reconnaît double, elle dit l'être par sa nationalité, son métier, sa personnalité: «Quand j'écris, j'ai à nouveau 7 ans [Garçon manqué], 12 ans [La Voyeuse interdite], 16 ans [La Vie heureuse] ou 20 ans [Poupée Bella]». Elle dit rattraper sa vie par l'écriture : rattraper l'enfance, le père qui ne cesse de lui manquer, et puis l'Algérie à laquelle elle fut arrachée à l'âge de quatorze ans, lorsque sa mère, après avoir suivi par amour son mari algérien, décida de rentrer en France.
Avec l'inaugural La voyeuse interdite (Prix du Livre Inter en 1991), on la découvre — voilà plus de dix ans déjà — chez Bernard Pivot, à Apostrophes : elle est douce, quelque peu féline, mais d'une réserve désarmante... On la retrouve ces dernières années sur les couvertures de ses romans les plus récents : elle est plutôt dure, un brin tranchante, elle s'est coupé les cheveux et laisse voir dans le regard une âme de guerrière.
Ces années d'écriture ont donné des romans exceptionnels, souvent écrits à la première personne, un je déconcertant, débordant, indomptable: un moi débordé, exaspéré par le désir, par la nature, les sentiments et la rage de vivre. Récits souvent à faible teneur narrative, où l'histoire peut se résumer à une rencontre ou, mieux encore, à dessiner un portrait, à raconter l'ambivalence des sentiments relatifs à l'amour, à la fraternité, à l'appartenance identitaire... C'est que tout l'enjeu de l'écriture de Nina Bouraoui est l'écriture elle-même! Et Nina Bouraoui écrit comme un peintre talentueux peut peindre : par touches, par juxtapositions, sur des fonds troubles, voire sales et qui charrient des sensations chaudes, violentes, émergeant des tréfonds de l'enfance. Celle qui dit écrire «comme si elle avait une arme à la main, en pointant ses phrases sur les autres, ou sur elle-même» connaît la violence du désir, le poids des secrets de famille, de l'absence à soi et aux autres. Elle ose prendre un chemin de traverse. Du coup, elle porte et raconte toutes les failles. Elle dit avoir commencé à écrire sur elle-même pour compenser la fuite de la langue arabe (la langue de l'enfance qu'elle a toujours désirée et jamais possédée), pour se faire aimer des autres, pour se trouver une place dans ce monde.
Dans les entretiens qu'elle accorde épisodiquement, Nina Bouraoui avance que l'écriture est pour elle une forme de quête identitaire, le seul pays dans lequel elle vit vraiment, la seule terre qu'elle maîtrise. Et le lecteur qui aurait eu le plaisir de lire Poing mort (Gallimard, 1992), Le Bal des murènes (Fayard, 1996) ou encore Garçon manqué (Stock, 2000) réalisera aisément que l'écriture est effectivement le pays, le territoire maîtrisé de Nina Bouraoui. L'écriture, non seulement elle la maîtrise mais, mieux encore, elle l'arpente, dévale se pentes, escalade ses falaises et, mieux que quiconque, se mouille à ses eaux troubles, à ses marécages et à ses rivières desséchées. Une écriture qui ne coule pas de source, étant souvent heurtée, saccadée, pointue, voire sifflante, mais qu'est-ce qu'elle draine comme sensations de puissance et d'acharnement à exister. Ces thématiques récurrentes (l'amour, les filles, la puissance des hommes, la violence du désir...), l'écrivaine les explore sans jamais en venir à bout, sans en épuiser les sons et les sens, les fureurs et les interrogations dans une langue foudroyante, précise comme l'esprit français qui la traverse et ardente comme l'Algérie qui la hante.
La source spectaculaire et viscérale du moi
Parce qu'elle écrit à la première personne, qu'elle évoque son enfance, sa mère, son frère, ses amours et ses terres d'origine et de vie, Nina Bouraoui est souvent comparée à Marguerite Duras et, depuis la déferlante de l'écriture dite d'auto-fiction, à celle justement de la figure emblématique du genre, l'écrivaine Chloé Delaume.
Mais Nina Bouraoui considère plutôt Hervé Guibert comme son inspirateur, celui qu'elle considère comme «son seul auteur». C'est cet écrivain célèbre notamment par son roman controversé La mort propagande qui lui inspira même sa théorie de l'écriture qui saigne. C'est que l'écrivaine affirme que ses livres passent par son corps; qu'il y a dans son écriture quelque chose de l'ordre du sang, du cœur, de la sève. Oui, l'écriture de Bouraoui tient de la performance physique, de l'endurance et de la lutte. Comment sortir indemne de cette exploration sans faux-semblants, sans dérobades, de son intériorité ? Cet affrontement sans concessions à la vie qui risque d'engloutir et de dévorer ? Justement Nina affirme que la destination de la vie — toute vie, si voluptueuse qu'elle puisse être ­— n'est pas joyeuse et qu'elle est irrémédiable. Raison pour laquelle, dans un long entretien qu'elle accorda au critique littéraire Damien Aubel (*), elle dit: «Le seul baume, la seule douceur et la seule réparation, c'est l'écriture. C'est pour ça que celle-ci est aussi importante. Duras disait: le seul sujet dans mes livres, c'est l'écriture. Cela, je le comprends très bien».
Alors, par-delà les mouvements littéraires, les tiroirs et les cases dans lesquels l'on pourrait tenter de classer les romans de Nina Bouaroui, cette auteure qui écrit sur elle-même, a un tel tempérament d'écrivain, une telle verve, et un talent tel que le lecteur a le sentiment de saisir le monde à la source des émois de l'écrivaine, de son esprit libre et de son être palpitant.
* Grand entretien avec Nina Bouraoui, Transfuge n° 39/avril 2010


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