Par Tahar EL ALMI (Docteur en économie) Certaines têtes trop bien pensantes susurrent, dans les salons trop huppés de Tunis et d'ailleurs, que «si le taux d'inflation à plus de 4,5% se confirme avec le retour à un endettement public croissant (?)… les pouvoirs publics ne pourraient plus relancer l'activité par des mesures contracycliques budgétaires et/ou monétaires expansionnistes». La raison en est ( ?) que le financement du déficit généré par des dépenses publiques croissantes serait un recours (forcé ?) à l'inflation monétaire, directement et/ou indirectement. Pour financer lesdits déficits… et ils se heurteraient à la contrainte imposée par le retour de l'inflation, par un effet de boomerang … avec les conséquences internes et externes que l'on sait (?) … Rien que cela !... On comprend de ces discours sur le caractère potentiellement inflationniste des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes récentes (voir le XIIe Plan 2010-2014) les nombreuses ambiguïtés et les amalgames. Des scénarios à l'emporte-pièce qui m'amènent à revenir sur un certain nombre de faits stylisés. En premier lieu, la récession des partenaires économiques et commerciaux de la Tunisie (principalement les pays européens) est évaluée à 1,2% (de 2 à 5,5% pour l'ensemble de l'économie mondiale) selon les dernières estimations du FMI, alors même que l'économie tunisienne évolue selon une tendance de croissance positive. Au cours de la période 2007/2009, et les missions du FMI et de la Banque mondiale (qui n'ont pas la réputation d'être tendres) l'ont confirmé : le taux de croissance du PIB a été de 4,6% aux prix constants, le revenu par tête d'habitant et par an est passé à 5.641 dinars, l'indice de rattrapage des pays développés est passé à 30,1%, le taux de chômage a été confiné à 13,3% de la population active, le taux d'investissement est passé à 23,9% du PIB avec un taux de croissance de l'investissement d'une moyenne de 10,8% aux prix courants, le volume des investissements directs étrangers aurait atteint les 8.120,8 MDT. Au niveau des échanges commerciaux, les exportations se seraient accrues de 7,8%, contre 9% pour les importations, pour atteindre un taux de couverture de 77,6%. Sur le plan du financement, les besoins ont été couverts à hauteur de 69,7%, par l'épargne nationale, contre 30,3% pour l'extérieur. Résultats des courses, le taux de l'endettement extérieur s'est réduit pour se stabiliser, en 2009, à 38,1%. En dépit des chocs économiques externes, sous-tendus par la crise économique et financière mondiale et notamment dans les pays de la zone euro, principal partenaire de la Tunisie, les fondamentaux restent très honorables et prometteurs, pour envisager la continuation et la consolidation de la politique contracyclique initiée depuis le début des chocs. D'autant que les tensions inflationnistes restent soutenables (après avoir été réduites de près d'un point en pourcentage en glissement annuel), sans anticipations inflationnistes apparentes susceptibles d'accélérer le rythme de croissance des prix à la consommation. En deuxième lieu : le XIIe Plan 2010-2014 s'inscrit dans une perspective de «continuité» de la politique contracyclique, avec un objectif final d'un taux de croissance de 5,5% du PIB réel, pour relever le revenu par tête d'habitant à 8.371,5 dinars en 2014, créer 415 mille postes d'emploi et réduire le taux de chômage à 11,6% en 2014. L'objectif intermédiaire revient à développer l'investissement pour accroître (au rythme moyen annuel de 11,2%) et porter son volume à 98.321 millions de dinars (MD) au cours de la période 2010-2014 ; à améliorer le niveau de productivité globale des facteurs et la porter de 48,6% et 53,3% en 2014, ce qui doperait le rythme des exportations pour le porter à 6,6%, sous contrainte que celui des importations serait de 6,9% (prix constants). Les instruments consistent principalement en la mobilisation des ressources internes (73,4%) et externes (26,6%) pour couvrir le besoin de financement. Au niveau des ressources d'emprunt, selon les prévisions, elles seraient près de 6.224,9 MD étant donné le retour progressif à l'emprunt sur le marché financier mondial. De sorte que le taux d'endettement tendait à se stabiliser à 29,5% du revenu national disponible fin 2014. En tout état de cause, on retiendra de ce protocole un premier point : la réactivité des pouvoirs publics, qui avait joué dès les premiers signes anticipés, se prolonge par une politique budgétaire de relance par les grands travaux pour doper l'activité, l'emploi et les revenus, et une politique monétaire d'accompagnement (sans plus) pour permettre aux entreprises (y compris les entreprises offshore, hôtes de la Tunisie) de disposer de ballons d'oxygène en matière de financement de leur activité courante et de leur activité future. Le deuxième point : la politique budgétaire qui se solderait par un déficit budgétaire anticipé et un taux d'endettement public, fortement réduits, qui resteraient en-dessous des niveaux que la Tunisie a déjà atteints par le passé. Et l'histoire des faits économiques de la Tunisie l'atteste, ces niveaux n'avaient jamais laissé de traces, en matière de tensions inflationnistes ineffaçables. Le troisième point: la politique monétaire, quant à elle, s'est limitée à alimenter le marché par des liquidités (légèrement au-delà de la demande), que la Banque centrale régule par des opérations de ponctions de surliquidités à l'occasion. Etant entendu et constaté que les taux de l'intérêt du marché (au-dessus des 4% pour le TMM) restent légèrement positifs et nettement et généralement supérieurs au taux nul. Ce qui permettrait aux autorités monétaires de disposer d'une marge de manœuvre pour doper davantage l'activité par des mesures monétaires expansionnistes, sans tomber dans le syndrome japonais. Le quatrième point, enfin : il apparaît clair que les conditions cycliques ne plaident pas en faveur du retour de l'inflation dans le monde, dans la mesure où le risque intrinsèque systémique est au collapsus financier sous-tendu par la crise de la dette des pays de la zone euro notamment. Ce risque est inexistant en Tunisie, dans la mesure où les fondamentaux acquis et anticipés pour le XIIe Plan ne l'augurent pas. En conclusion, la cohérence interne du XIIe Plan est inattaquable. Les seules limites concernent la cohérence externe, notamment en matière de pressions concurrentielles nationales (sur les marchés des biens, du travail et des services). Des limites contenues par une cohésion sociale à toute épreuve.