Les personnes vivant avec le VIH/Sida (Pvvih) dénoncent les agissements désobligeants et discriminatoires qu'ils subissent en permanence dans la société et jusque dans les établissements de santé publique La riposte anti-sida prend un nouveau tournant. «Combler l'écart» vient comme un défi lancé par les organisations internationales et par les ONG nationales en vue d'intervenir au niveau des lacunes prédéfinies et de rectifier ainsi les axes d'un combat perpétuel. Or, comment relever ce défi au moment où la stigmatisation et la discrimination signifiées par la société envers les personnes vivant avec le VIH/Sida viennent contrecarrer le droit à la dignité pourtant exigé et affirmé par les textes juridiques internationaux comme par les valeurs universelles? Quelle stratégie doit-on mettre en place pour réduire le duo stigmatisation-discrimination au niveau zéro et permettre ainsi aux Pvvih de mener une vie normale, de s'intégrer dans la société sans être ni mal jugés ni montrés du doigt ? Au cours d'un atelier de plaidoyer auprès des professionnels des médias ainsi que d'une journée porte ouverte, tous deux concoctés récemment par l'Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le sida de Tunis ( ATL MST SIDA Tunis ) et le Groupe de soutien aux Pvvih en Tunisie (GS++), en partenariat avec ONU Sida et le programme du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, les Pvvih ainsi que les activistes anti-sida ont rendu à l'évidence l'impact de la discrimination sur le quotidien des Pvvih. «Nous avons ras-le-bol !» Mme H. a dénoncé les agissements des professionnels de santé envers les Pvvih. Des agissements qui dévoilent un clabaudage gratuit et un déficit certain de la conscience professionnelle. «Nous nous rendons à l'hôpital pour un contrôle médical et nous en sortons la gorge nouée. La discrimination nous envenime la vie et nous rappelle, à chaque fois, que nous vivons dans une communauté impitoyable, hostile et égocentrique», a-t-elle souligné. Elle a ajouté sur un ton ironique : «Nous avons même pensé organiser une session de formation destinée aux professionnels de la santé afin qu'ils puissent s'initier à l'accueil des Pvvih». Une autre dame a indiqué que la discrimination dont souffrent les Pvvih les conduit à l'isolement. «Nous recommandons des unités sanitaires spécifiques indépendantes tellement nous avons ras-le-bol des regards désapprobateurs, des médisances et des chuchotements hostiles», a-t-elle indiqué. Prenant la parole, M. Oussama Bouagila, de l'Observatoire VIH éthique et droits humains a expliqué que le duo stigmatisation-discrimination contrecarre les conventions internationales relatives aux droits de l'homme. «Et pourtant, nous continuons à déceler cet esprit de ségrégation dans toutes les prestations publiques. Il s'agit, manifestement, de toute une politique fondée sur la discrimination et le refus de l'autre. Une politique qui trouve son fondement dans l'ignorance ou dans la méconnaissance de l'information. Elle est, en outre, consolidée par un jugement d'ordre moral, porté sur l'un des moyens de transmission du virus, à savoir les relations sexuelles». «La discrimination est une réaction, basée sur la peur. Or, y a –t-il vraiment un motif de s'affoler? Grâce au traitement, le Sida n'est plus fatal mais s'aligne parmi les maladies chroniques. Il n'est pas contagieux mais transmissible. Pour lutter contre la prolifération du Sida, il convient, d'abord, de combattre la stigmatisation et la discrimination afin de faciliter le recours délibéré au dépistage précoce surtout que 50% seulement des Pvvih sont déclarés comme tels», a expliqué le Dr Ridha Kamoun, président de l'ATL MST SIDA Tunis. L'épidémiologie à travers le monde La cartographie épidémiologique du VIH/Sida comprend trois zones noires : l'Amérique, l'Afrique sub-saharienne et l'Orient. M. Lassaâd Soua, de l'ONU Sida, a présenté un exposé détaillé sur l'évolution de l'épidémie dans le monde mais aussi dans notre région de l'Afrique du Nord et du Moyen-O orient. Selon les chiffres comptabilisés à la fin 2013, le nombre de Pvvih à l'échelle internationale est de 35 millions, dont 230 mille dans notre région. La zone du Maghreb et du Moyen-Orient connaît l'émergence annuelle de 25 mille cas. Par ailleurs, et sur un total de 1,5 millions de décès dus au Sida, 15 mille sont enregistrés dans notre région. Il est à noter que le nombre des d'enfants atteints par le sida s'élève à 3,2 millions dont 16 mille dans notre région. S'agissant de la Tunisie, les indicateurs montrent que notre pays compte 1% du nombre global des Pvvih dans le monde, 1% du nombre de décès dus au Sida, 2% du taux relatif aux nouvelles infections. M. Soua a appelé les différents intervenants à mieux conjuguer leurs efforts pour combattre la prolifération de l'épidémie du Sida. Certes, notre région semble compter des taux moindres par rapport à d'autres zones phares comme l'Afrique sub-saharienne par exemple. Mais ceci n'empêche l'évolution certaine du Sida au Maghreb et au Moyen-Orient. Face à l'évolution épidémique du VIH/Sida, la riposte internationale risque de reculer d'un pas, puisque 59% des bailleurs de fonds signifient une réduction au niveau du financement de la riposte. Le Sida, à l'horizon 2020 et 2030 Pour combler l'écart, l'ONU Sida a mis en place de nouvelles stratégies ambitieuses, promettant de hisser les taux de dépistage, de prise en charge médicale tout en réduisant le nombre des nouvelles infections et en minimisant le taux de discrimination. L'idée étant d'atteindre, à l'horizon 2020, le trio 90%-90%-90% ; soit 90% des Pvvih dépistés, 90% des cas dépistés soumis au traitement et 90% d'entres eux parviennent au stade de sous-pression virale. Notons que la sous-pression virale est définie comme étant un stade de parfaite maîtrise du virus. Ce dernier ne serait plus détectable dans le sang et donc non-transmissible. Ce qui se répercuterait positivement sur la propagation de l'épidémie et réduirait le nombre des nouvelles infections à seulement 500 mille nouvelles infections dans le monde. Une telle démarche devrait aboutir à un taux de zéro discrimination. La stratégie sera convertie, en 95%-95%-95% pour atteindre, à l'horizon 2030, un objectif ambitieux, à savoir 200 mille nouvelles infections par le VIH/Sida dans le monde. Tabler sur la prévention et le dépistage Pour sa part, le Dr Hayet Hamdouni, coordinatrice du programme national de lutte contre les infections sexuellement transmissibles (IST) et le Sida à la DSSB, a rappelé, dans son intervention, la genèse et l'évolution dudit programme. Aujourd'hui, et suite à la révision de la stratégie nationale de lutte contre le sida, et en collaboration avec ONU sida et l'OIM, plusieurs mesures seront prises afin de renforcer les actions de sensibilisation, de prévention et de dépistage précoce de la séropositivité. Aussi, de nouveaux mécanismes de prise en charge seront-ils établis dont les consultations de jour. Le programme tiendra plus en compte l'apport des accompagnateurs socio-sanitaires pour une meilleure orientation et sensibilisation des catégories vulnérables. Les Pvvih ont poussé un soupir de soulagement en apprenant qu'ils pourront accéder au traitement par un comprimé qui se substituera à la trithérapie, et ce, à partir de janvier 2015.