La vie de Zerline touche à sa fin, mais elle a juste commencé à raconter son histoire. Jeudi, vendredi et samedi derniers, la servante Zerline a été l'invitée de la scène du théâtre de L'Etoile du Nord, et cela fait un bon moment que l'on n'a pas entendu le bruit de cette scène. Le récit, qui y a été représenté, a été adapté de l'œuvre de l'écrivain autrichien Hermann Broch, une œuvre qui se situe au début du XXe siècle. Le récit de la servante Zerline est une pièce d'une heure quinze minutes, écrite en tunisien et subventionnée par le ministère de la Culture. L'équipe qui y a contribué compte Ali Bennour, Houcine Chikhaoui, Noureddine El Ati, Ahlem Nissar, Mohamed Nouir, Ezzeddine Taktak et Sonia Zarg Ayouna. Cette dernière porte la pièce en interprétant le rôle de Zerline, dans un presque monologue ponctué par quelques répliques de Ali Bennour, et surtout par ses silences et ses expressions riches en émotions. Dans un décor d'époque, le comédien est allongé sur son lit quand entre dans sa chambre la servante Zerline. Elle le réveille et commence à lui raconter ce que font sa maîtresse de maison « Lella » et sa fille « Henda » de leurs journées. Des détails anodins qu'elle essaye de rendre croustillants, mais « A », le locataire, ne s'y intéresse pas. Bientôt, quand Zerline déballe les secrets du passé, la situation va changer. Son écoute silencieuse, mais attentive va lui être précieuse. Zerline « est vieille, elle est à l'automne de sa vie. Une vie bien remplie. Le désir, l'amour, la haine, les échecs et les petites victoires. Zerline a la conscience de sa classe et elle hait la femme qu'elle sert d'une haine féroce ». Elle est ainsi décrite dans la présentation de la pièce. Sur scène, elle est bien plus que ça. Plus elle parle, plus son personnage gagne en relief. On lui découvre une vie, des rêves, des tendresses et des rancœurs. Comme tout être humain, dira-t-on, mais Zerline sait bien que son destin était tracé d'avance. Tout ce qu'elle a fait, c'est subtiliser quelques moments de liberté. Car Zerline ressent les chaînes de sa condition de servante tout autour d'elle. Témoin des changements qui sont survenus dans la famille qu'elle sert de génération en génération, elle symbolise la classe des travailleurs exploités par une bourgeoisie qui ne cherche qu'à sauvegarder ses intérêts. Pourtant, Zerline a essayé d'agir et de sauver ce qui lui a semblé susceptible de l'être, en vain. Elle n'a pu échapper à son destin, ni changer celui de ses maîtres, mais elle a transformé son existence parmi eux en boule de vengeance qui ronge le corps de cette famille de l'intérieur. Sans que personne ne s'en aperçoive, elle semble déterminée à continuer jusqu'à ce que mort s'en suive. Même ses confessions au locataire sont comme une parenthèse hors du temps, et qui ne laisseront aucune trace.