Ceux qui n'ont pas fait le déplacement au Centre culturel de Hammamet vendredi soir ont eu tort. Ils ont raté un des meilleurs moments. Un moment intense où se marient engagement, amitié, loyauté, dignité et de la grande poésie. Entre Richard Martin, le directeur du Théâtre Toursky, et Léo Ferré, c'est une vieille histoire qui dure toujours par-delà la mort. Un compagnonnage artistique et libertaire et une grande amitié qui remontent à 1971, quand Ferré venait chanter au Théâtre Toursky, au moment de sa création. Leur première collaboration artistique date, elle, de 1980 lorsque Richard Martin créait, au Palais des Glaces de Paris, La méthode, sur un texte de Léo Ferré. Par la suite, chaque année verra une création ou une reprise, ou encore des hommages au Toursky : Alma Matrix, L'opéra des rats (textes de Léo Ferré écrits pour le Toursky et Richard Martin), etc. En 1990, quand le théâtre Toursky rouvre après rénovation, c'est le grand Léo qui viendra chanter pour l'inauguration. Léo Ferré était chez lui au Toursky. A sa mort, en 1993, Richard Martin fera donner son nom à la rue qui mène au théâtre, dont l'adresse est désormais : 16, promenade Léo Ferré. La mémoire et la mer est le titre d'une chanson de Ferré, une très belle chanson, très énigmatique qui semble pour Richard Martin celle qui traduit le plus l'univers du grand Léo. Le spectacle est déroutant de simplicité. Accompagné de deux musiciens, Levon Minassian au doudouk, sorte de flûte, et Fatos Qerimi à la clarinette et au violon, Richard Martin était aussi flamboyant que les mots de Ferré. Sans mimétisme, sans vouloir jouer un rôle, encore moins faire du Ferré, il avance, tout en noir avec ses cheveux ébouriffés et les poings serrés du libertaire qu'il a toujours été. Les mots de Ferré vont bien avec son interprétation, avec sa manière de réciter ces vers de l'ami disparu. Les textes renaissent autrement, deviennent siens, viennent du cœur de celui qui a tant partagé idéaux et utopies. On a l'impression que tant d'années de complicité ont fait que Martin ressemble tant à Ferré. Une drôle de ressemblance qui a ébranlé certainement les rares présents. Comédien, oui, il l'est certes Richard Martin, mais il ne nous a pas joué la comédie, il nous a offert son amour de ces textes, de ces vers de l'univers étrange d'un des plus grands poètes du XXe siècle. Durant plus d'une heure et demie, un silence solennel et une belle quiétude ont régné. De celles que seule la poésie peut créer. Et l'on se permet de dire, enfin, qu'entre le Léo chanté et le Léo lu, le cœur du public n'a cessé de basculer.