Sur une initiative de l'association Almadaniya, des professeurs universitaires tunisiens se sont rencontrés avec leurs homologues français pour réfléchir sur les enjeux et perspectives de l'étude des sciences sociales et de la recherche dans ces disciplines sur les deux rives de la Méditerranée. Le campus Sciences Po Menton, cet ancien hospice Saint-Julien, a été le cadre de plusieurs interrogations sur l'état des études des relations contemporaines franco-tunisiennes. Lotfi Maktouf, président de l'association Almadaniya, a indiqué, en prélude de ce séminaire, que cette rencontre est une «opportunité pour croiser la culture, la recherche, la stratégie et la sécurité». «Il faut toujours contribuer de la part des deux pays et générer du contenu et ne pas se limiter au seul aspect politique qui s'avère un faisceau de conversations qui ne marchent pas», a-t-il souligné. C'est pourquoi il a exhorté les chercheurs des deux pays à approfondir la recherche et à multiplier les études des relations contemporaines. S'exprimant sur ce sujet, Sihem Kchaou, maître-assistante agrégée d'histoire enseignante à l'Université de La Manouba, a présenté une communication sur l'«état de l'enseignement et de la recherche sur l'histoire occidentale». «Il est essentiel de rejeter l'image du repli sur soi-même par l'encouragement à l'apprentissage des langues et à la connaissance des autres civilisations qui faciliteraient l'acceptation mutuelle», a-t-elle souligné. L'enseignante, dont les réflexions se basent sur sa propre expérience et sur les résultats de ses recherches en la matière, préconise de renouveler, des deux côtés de la Méditerranée, la façon d'enseigner et de venir à bout des quelques obstacles qui entravent une meilleure évaluation de la civilisation occidentale en Tunisie, à savoir l'obstacle de la langue ou d'autres obstacles d'ordre matériel tels que les difficultés inhérentes aux déplacements en France (Visa, coûts relatifs au voyage...). Outre un problème d'encadrement des thèses et l'inexistence d'un centre de recherche spécialisé. Pour sa part, Mme Leïla Blili Temime, professeur d'histoire moderne et contemporaine à l'université de La Manouba, a passé en revue «quatre siècles de rapports euromaghrébins entre diplomatie et conflits», et a assuré que la course et les actes de piraterie étaient le principal sujet de la diplomatie franco-tunisienne à l'époque où le pays était sous la domination turque. Pour mieux appréhender les spécificités de l'autre, elle recommande de ne pas laisser ce contact au niveau de la côte. Dans le même sillage, pour Lamiss Azab, professeur agrégée d'arabe, professeur de pensée politique arabe et responsable pédagogique à Sciences PO, il s'agit de «croiser la langue et la politique pour mieux saisir l'identité». Jean Pierre Filiu, historien et professeur d'histoire des Universités à Sciences Po, estime qu'on est à un moment privilégié, celui de la transition et de la réappropriation. «J'ai un rêve», a-t-il révélé. «Celui de pouvoir, sans préjugés, parvenir à la redécouverte, à la relecture de votre histoire depuis l'Indépendance. J'ai besoin de vous, d'accès à vos archives. Nous sommes face à un défi partagé», a-t-il affirmé. Kmar Bendana, professeur d'histoire à l'institut supérieur d'Histoire de la Tunisie contemporaine, a affirmé dans le même ordre d'idée qu'un prof ou un chercheur est «obligé, après la révolution, de réfléchir sur ce qu'il fait». «Quelles pourraient être les difficultés du métier d'historien ? A quoi peut servir un historien ? Il y a des blancs, des nuances dans notre histoire écrite. C'est pourquoi il faut renouveler la recherche, déconstruire les tabous», a-t-elle souligné.