Cela se passait au campus sciences Po Menton, ces anciens hospices Saint-Julien, îlot multiculturel en plein cœur d'une France pour le moins profonde. Sur une initiative de l'association Almadaniya, des professeurs universitaires tunisiens se sont rencontrés avec leurs homologues français pour réfléchir sur les enjeux et les perspectives de l'étude des sciences sociales et de la recherche dans ces disciplines sur les deux rives de la Méditerranée. Des universitaires et des chercheurs tunisiens en sciences sociales, en l'occurrence Faouzi Mahfoudh, Sihem Kchaou, Kmar Bendana, Leïla Blili Temime, Mounir Fendri, Lamiss Azab et Sihem Sidaoui, ont débattu deux jours durant avec leurs homologues français et en présence des étudiants, des questions sur la nature des relations entre la France et le Maghreb, la France et la Tunisie, ainsi que de l'histoire des rapports euromaghrébins. Cette rencontre a, en outre, permis aux intervenants des deux rives de focaliser le débat sur la question de l'immigration, de l'utilité d'un regard historiographique comparé, ou encore de focaliser sur l'avenir de l'enseignement en Tunisie de l'après- révolution. La pléiade d'universitaires des deux rives est parvenue à identifier les fronts sur lesquels il faut s'activer pour faciliter l'échange, le dialogue et l'écoute entre les universitaires des deux rives. Prenant la parole, Bernard El Ghoul, directeur du Campus Moyen-Orient, a tenu à remercier l'association Almadanya en la personne de son président Lotfi Maktouf, pour les efforts qu'il ne cesse de déployer dans cette même optique. Il a également salué M.Faouzi Mahfoudh, qui a été le moteur de cette initiative côté tunisien. Le directeur de Campus Moyen-Orient a souligné, dans le même sillage, que « depuis 2011, le champ de la recherche en sciences sociales a pu évoluer dans certains nombres de pays de la rive sud, de manière beaucoup plus ouverte, à commencer par la Tunisie. Le monde a les yeux braqués sur votre pays et sur le succès de la transition dont dépend l'avenir de la région ». D'où l'intérêt sans cesse croissant de l'Institut mentonnais à nouer de nouveaux partenariats. « Certains de nos étudiants vont partir dans des pays du Machreq ou de l'Occident, mais pas en Tunisie, du moment qu'on n'a pas d'université partenaire et c'est important qu'on crée ce lien à travers ce séminaire. Nous recevons trop peu d'étudiants tunisiens par rapport au potentiel qui existe en Tunisie. Nous voulons une formation croisée pour des étudiants qui, demain, occuperont des postes de responsabilité » a-t-il expliqué. Par ailleurs, le premier axe des travaux fut consacré à la question de l'image des immigrés en France. Julien Gaertner, maître de conférences à Sciences Po en histoire, chercheur à l'unité de recherche « Migration et société » de l'université de Nice, a consacré son intervention sur « Les Arabes dans les médias français de 1962 à nos jours ». Traitement par le rire Cet universitaire, qui a creusé dans les archives numérisées de l'INA, a questionné la façon dont la télé a pu représenter l'image de l'immigration clandestine. « Au début des années soixante, Ortf avait réservé son émission ‘‘5 colonnes à la Une'' à des reportages dans les faubourgs de Paris où près de 3.000 Nord-Africains ont élu domicile. Ces reportages qui montraient, pour la première fois à l'écran, l'insalubrité des bâtiments et les conditions dans lesquelles vivait cette colonie, avaient provoqués de la compassion. La question du logement est alors posée. Les enfants des immigrés, qui passaient alors à la télé, allaient devenir 15 ans plus tard des beurs ». Et de poursuivre : « En 1970, on assiste à un bouleversement. On assiste à une flambée raciste, on assassine des Arabes, on agresse. La télé va pourtant tenir un discours dédramatisé et des sketchs dans ce sens prennent forme ‘‘La cigale et les fourmis'' de Pierre Pechin, émission ‘‘Ring Parade'', ‘‘Ali be good'' ». C'est le traitement de la question de l'immigration par le rire, confie-t-il. « On mélange l'image de l'émir arabe à celle de l'émigré », souligne-t-il. Ce n'est qu'au début des années quatre-vingt qu'on associera la question de l'immigration à celle de la délinquance, affirme Julien Gaertner. « Pour la première fois, la télé donne la parole à la nouvelle génération de Français d'origine arabe et leur consacre les fameux ‘‘Dossiers de l'Ecran'' ». L'intervenant fait remarquer que jusqu'aux années quatre-vingt, il y avait une absence totale de lien entre émigration et islam dans la question de l'émigration malgré l'avènement de la révolution iranienne. C'est en 1983, lors d'une grève dans une entreprise où travaillaient beaucoup d'immigrés qui seront suivies d'autres grèves déclarées « Grèves Shiites » par Pierre Moroy. C'est le début de la stigmatisation des immigrés. Les attentats de Paris entre 85 et 86 balisent aussi la voie à la xénophobie et au racisme. Mais la période charnière, selon Julien Gaertner, sera l'année 1989. Cette année, des manifestations sont organisées par l'association « La voix de l'islam » contre Salman Roshdi, auteur du livre Les versets sataniques. Les manifestants appellent à la mort de l'écrivain. Une chanson de Véronique Sanson, intitulée Allah va mettre le feu aux poudres. Résultat : les immigrés de France deviennent les musulmans de France. S'ensuit, alors, l'affaire des minarets et des collégiennes voilées. Fort heureusement qu'il y a des Français d'origine arabe qui arrivent à conquérir le cœur des Français. Jamel Dabbouz est l'un d'eux. Il n'empêche, la distinction de quelques vedettes et artistes ne pourra pas, à elle seule, renverser la donne. Une plus grande implication des chercheurs et des universitaires, ainsi qu'un meilleur échange des étudiants, sont la voie du salut. (Demain, la suite du compte rendu des actes du séminaire)