Aujourd'hui 14 janvier 2015, la révolution de la liberté et de la dignité a quatre ans. Une période insignifiante dans le parcours historique et civilisationnel du peuple tunisien chargé de dates marquantes et de hauts faits, mais porteuse de significations et de symboliques déterminantes pour l'avenir du pays. Quatre ans après la fuite de Ben Ali, la Tunisie est aujourd'hui entrée de plain-pied dans sa deuxième République et se trouve dirigée, pour la première fois dans son histoire, par un président élu au suffrage universel et direct à l'issue d'une élection présidentielle à deux tours, échéance à laquelle ont pris part au premier tour vingt-sept candidats retenus sur près de soixante-dix aspirants au palais de Carthage, occupé désormais par Béji Caïd Essebsi pour les cinq prochaines années (décembre 2014-décembre 2019). En ces quatre années d'effervescence, de dynamisme et de pratique politique se voulant à la mesure des objectifs de la révolution, le pays a connu quatre rendez-vous électoraux majeurs dont trois se sont déroulés en 2014. Cette période a enregistré l'émergence d'une nouvelle classe politique dont la plus grande partie s'est révélée après la révolution, a vu le défilé de six gouvernements provisoires dont le dernier, celui de Mehdi Jomâa, se prépare à faire ses valises d'ici fin février prochain. Elle a connu l'adoption le 27 janvier 2014 d'une nouvelle Constitution, œuvre produite par l'Assemblée nationale constituante élue le 23 octobre 2011 et qui a mis trois ans pour rédiger la Constitution actuelle qui remplace celle du 1er juin 1959. Elle a été marquée le 26 octobre 2014 par des élections législatives qui ont profondément reconfiguré le paysage politique national dans la mesure où c'est Nida Tounès, créé le 18 juin 2012, qui a remporté les législatives et qui est en train de constituer le prochain gouvernement à travers Habib Essid, une personnalité politique considérée comme indépendante s'attelant depuis début janvier 2015 à former une équipe ministérielle qu'on attend ouverte à tous les partis politiques, y compris ceux qui n'ont pas gagné un seul siège au parlement. Et si la célébration des anniversaires donne lieu généralement à des bilans que l'on veut positifs ou négatifs, les Tunisiens et les Tunisiennes entament aujourd'hui la 5e année de leur révolution en ayant les yeux rivés sur leur avenir qu'ils souhaitent différent radicalement des épreuves, des difficultés et des souffrances qu'ils ont endurées durant les quatre dernières années. Mais ces quatre dernières années ont été entachées de malheur et de sang: assassinat de leaders politiques illustres, émergence du terrorisme jihadiste, détérioration de la situation économique et sociale, rupture du contrat de confiance entre le citoyen et l'Etat, menace sérieuse de voir nos acquis civiques accumulés durant plus d'un demi-siècle s'évaporer, etc. Elles ont aussi permis de dévoiler que le vivier civique et citoyen était intact et que la société civile a réussi à triompher au bout de plusieurs combats exaltants et mobilisateurs des plans obscurs des passéistes et des visées des semeurs de mort. Et c'est bien cette étincelle d'espoir toujours renouvelé et d'ambition illimitée d'atteindre les cimes du progrès et de l'épanouissement habitant encore nos esprits et guidant notre démarche, en dépit des erreurs et des faux calculs commis par tout le monde — faut-il avoir le courage de le reconnaître — qu'il faudrait continuer à cultiver, plus particulièrement auprès de la jeunesse, il est vrai désemparée et n'arrivant toujours pas à arracher sa place au sein du paysage politique national et à exercer pleinement son droit de décider de son futur sans attendre que les partis politiques, qu'ils soient dans l'opposition ou au pouvoir, lui concèdent des strapontins dont elle n'a pas besoin. Nos jeunes qui ont balayé Ben Ali et sa clique en répondant à leur conscience qu'ils peuvent changer le pays et se transformer eux aussi en véritables acteurs de l'histoire sauront reprendre l'initiative et montrer au monde que la révolution a vaincu grâce à leur volonté et que la démocratie triomphera à l'avenir. Car l'avenir se construit avec les jeunes, pour les jeunes et par les jeunes. Loin de la littérature habituelle de la commémoration de tels événements, le discours à promouvoir durant la prochaine étape n'est point celui de se poser la question-ritournelle : qu'est-ce que la révolution nous a apporté?, mais bien celle de dire voilà ce que nous allons créer pour que perdure la liberté, fleurisse la démocratie et triomphe le droit. L'entreprise d'édification est difficile. Les Tunisiens et les Tunisiennes sont à même de la conduire à bon port. A la condition unique de rompre définitivement avec la culture de la division et de comprendre que nous sommes condamnés à construire ensemble dans la diversité et le respect du droit sacré à la différence.