Par Abdelhamid GMATI Le ministère de l'Intérieur et la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) s'opposent de nouveau. L'Instance a interdit la diffusion de la vidéo, produite par le ministère, relatant les aveux des auteurs de l'assassinat du policier à El Fahs, estimant que selon l'article 27 de la Constitution, « tout prévenu est présumé innocent jusqu'à l'établissement de sa culpabilité dans le cadre d'un procès équitable», et la Convention universelle des droits de l'Homme, dont l'article 11 précise que «toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public». Le ministère critique cette décision et précise : « Lorsqu'il s'agit de terroristes avérés qui avouent, eux-mêmes, leur appartenance et leurs actes, nous ne pouvons que les traiter en tant que tels et non en tant que simples suspects », et il ajoute « « A ceux que nous avons vus et entendus sur d'autres chaînes TV, défendant et trouvant des excuses aux terroristes, nous disons que nous continuerons à poursuivre, dans le cadre du respect des lois, tous ceux qui commettent des actes terroristes, ceux qui les financent, les blanchissent et ceux appartenant à des réseaux reconnus comme étant terroristes ». En fait, il s'agit encore de l'éternel débat du respect des droits de l'Homme et des libertés dans un contexte de lutte antiterroriste. Le gouvernement a déjà annoncé la fermeture des radios et télévisions devenues des « espaces pour le takfir (accusation de mécréance) » en affirmant, désormais, considérer l'armée et la police comme « des lignes rouges ». Réponse du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) : « Comment interpréter cette expression? Nous refusons toute « ligne rouge » : la guerre contre le terrorisme ne doit pas servir de prétexte pour porter atteinte à la liberté d'expression et à la diversité du paysage médiatique, qui représentent les deux plus importants acquis post-révolution ». Les journalistes Tunisiens se rappellent toujours ce qu'ils ont enduré sous le régime tyrannique lorsqu'ils étaient muselés, interdits de libertés, persécutés, au nom de la la raison d'Etat. Les opinions des Tunisiens divergent sur cette question. Si certains refusent catégoriquement que les droits garantis par la Constitution, soient restreints au nom de la lutte contre le terrorisme, d'autres, inquiets de la menace jihadiste, affirment, à l'instar de l'imam Ferid El Béji : « Qu'on ne vienne pas me parler de droits de l'Homme ! Nous sommes dans une guerre pour notre existence. Celui qui parle de droits de l'Homme en ce moment est complice du terrorisme ». Ce débat se pose aussi dans d'autres pays, comme la France. Lors des récents attentats à Paris, les médias ont été appelés à la prudence et à ne pas donner d'informations susceptibles d'être utiles aux suspects. «Je demande aux organes de presse d'être particulièrement prudents sur le type d'informations et de messages diffusés sur vos ondes, parce que toute information peut aussi mettre en cause le travail d'enquête et poser des risques», a déclaré le Premier ministre français qui en a appelé « à la responsabilité de chacun», demandant aux médias de faire preuve de vigilance. «Hier soir, cette nuit, ce matin, circulent des informations, souvent sur la Toile, mais aussi sur vos ondes, qui peuvent nuire au travail des forces de l'ordre». Des appels similaires à ceux lancés par notre gouvernement depuis l'an dernier. « Si on veut un Etat de droit, il faut respecter la loi », affirment certains. De fait, il est hors de question de restreindre la liberté de presse et priver la population de son droit à l'information. Certes, cette liberté, comme toutes les autres, doit être assumée en étant responsables. En somme, la question appartient aux journalistes eux-mêmes appelés à respecter la déontologie de leur profession et à établir une charte, régissant, entre autres, la couverture des événements liés au terrorisme, afin notamment de bannir l'apologie du terrorisme et du jihad, comme on l'a constaté sur certains médias. Doit-on choisir, l'un au détriment de l'autre ? « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité, ne mérite ni l'une ni l'autre et finit par perdre les deux », disait Benjamin Franklin. En définitive, la solution revient au peuple et comme l'affirmait Albert Einstein :« Le monde n'est pas difficile à vivre à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire ».