Avec un parcours de danseur et une appartenance marquée à la communauté noire tunisienne, Karim Touwayma puise dans un patrimoine pour réaliser des envolées contemporaines. Samedi dernier, à Mad'Art, un public averti, mais curieux s'est déplacé nombreux pour découvrir la nouvelle création du chorégraphe et danseur Karim Touwayma, « l'Aarifa », un titre qui nous renvoie directement et sans ambiguïté aucune à ce rite de possession musico-thérapeutique, implanté en Tunisie par des populations venues d'Afrique subsaharienne, mêlant musique, danses et chants, durant lequel certains participants entrent en transe et incarnent des entités surnaturelles. C'est autour du personnage de l'Arifa, (maître ou maîtresse de cérémonie) que Karim Touwayma explore un univers particulier, longtemps ignoré, mal vu et considéré comme une forme de charlatanisme, voire de sorcellerie, apparenté aux pratiques vaudous. La double appartenance du chorégraphe à ces deux mondes, celui de la danse contemporaine, à travers sa formation et son passage par le Centre chorégraphique méditerranéen auprès d'Imed Jemâa, et au milieu du Stambali dans lequel il a baigné depuis sa tendre enfance, a fait de lui un être d'exception et un artiste porteur d'une vision sur un patrimoine riche et dense, en lui apportant des ouvertures nouvelles, contemporaines, lui permettant de porter un éclairage nouveau sur un culte « religieux », qui a basculé dans le folklore, le ramenant vers la scène artistique avec un regard novateur. Dans son spectacle «l'Aarifa », Karim Touwayma poursuit le travail déjà entamé dans sa précédente création « Midan Stambali », où il décortique le pas de danse, le rythme, les ouvertures et la gestuelle; il présente, d'une manière documentaire, ce rituel qui allie danse, chant et musique, le sort de son contexte sacro-folklorique et l'utilise comme langage de base d'une œuvre contemporaine. Mais contrairement à sa première démarche, il emprunte, cette fois-ci, une exploration qui va plus vers la mise en avant d'un personnage central, celui de la Aarifa, qui entretient un lien avec le surnaturel, à travers ses états de transe, et qui célèbre, reconnaît le mal et peut, selon la tradition et les croyances populaires, le guérir. A travers les danses, les solos de Chokri Jandoubi, ses duos avec Hayet Belkhir, accompagnés des percussions et du gombri, figures de base du Stambali, on nous offre des chorégraphies authentifiées, comme si on nous présentait le mouvement originel en opérant une transposition vers le contemporain à travers les variations que propose le travail chorégraphique de Nesrine Chaabouni et Malek Zouaidi. Les deux danseuses contemporaines partent du mouvement original en créant des rapprochements avec les codes et les gestes du registre contemporain. Il fallait, certainement, un artiste avec les qualités de Karim Touwayma pour pouvoir explorer cet univers secret, plein de codes, de symboliques, chargé en spiritualisme, flirtant avec le profane, jetant un pont avec le surnaturel, qui refait surface et se révèle au grand jour comme une partie intégrante de notre culture plurielle. Karim Touwayma, divulgue des secrets, dévoile des pratiques et propose un savoir-faire sur une scène artistique. Fort de son appartenance au Stambali, de ses connaissances profondes de cette culture, sa musique et sa danse et surtout de la confiance que lui accordent les siens pour que cette culture sorte des espaces clos et des cercles fermés pour embrasser l'universel artistique. Une expérience artistique précieuse qui nous révèle une partie de l'identité des noirs de Tunisie et d'Afrique du Nord, une identité qui n'est autre que la nôtre.