Certains articles de la loi sont misogynes, mais le front principal est celui des mentalités... Réunies en un collectif dénommé «Dialogue des femmes tunisiennes», 17 associations féminines se sont retrouvées vendredi 27 février, à Tunis, afin de lancer leur «campagne de plaidoyer»... En effet, depuis un an, ces associations, bravant la différence de leurs penchants idéologiques, travaillent à un amendement de la loi sur la fonction publique afin de tenter «d'instaurer la parité dans les postes de décision dans la fonction publique». Ces associations sont parrainées par l'ONG internationale Search for common ground (Sfgc), dont la représentante en Tunisie, Mme Ikram Ben Saïd, a brièvement fait l'historique de cette expérience. Elle a rappelé que tout a commencé alors que les tensions étaient les plus fortes entre les deux pôles politiques et que les femmes à qui a été faite la proposition du dialogue ont tout de suite accepté... L'opération devait durer une année mais, au terme de cette période, l'idée de relancer la collaboration autour d'un objectif commun s'est imposée aux unes et aux autres. Signalons que l'ONG en question est spécialisée dans la promotion des techniques de dialogue et de médiation... Aujourd'hui, donc, on peut dire que la revendication de la société civile au sujet d'une parité dans les postes de décision au sein de la fonction publique est une revendication commune. Elle n'est pas celle d'un camp contre un autre. Et la jeune Fatma Cherif, de l'Association Nissa Tounissiyet, soulignera ce point en insistant sur la nécessité de joindre les efforts et de partager les tâches... C'est d'autant plus important que, comme cela sera souligné par plusieurs intervenants, la parité engage une «lutte politique», et pas seulement un simple ajustement juridique de nos textes aux dispositions de la nouvelle Constitution, notamment en ses articles 21 et 46. Cela dit, la bataille est également et d'abord à mener sur le plan juridique. La loi sur la fonction publique prévoit des articles qui sont censés assurer une certaine équité entre hommes et femmes en matière de recrutements et de promotions. Mais les garanties sont faibles et ne permettent pas de venir à bout de ce double handicap dont souffre la femme : les obligations liées à la maternité et aux activités d'éducation, qui incombent généralement à la femme et, d'autre part, le poids des mentalités, qui les pénalise souvent en les excluant des postes de décision dès lors que les affectations se font par nomination. Le collectif a donc travaillé sur des projets d'amendement. On indique qu'il y a eu beaucoup de négociations et de séances de travail. Les textes concernés sont les articles 11, 28 et 70. Et l'objectif est de leur conférer une réelle efficacité afin que, à l'avenir, la «porte des exceptions» ne vide pas la loi de son contenu, comme elle l'a fait jusqu'ici. La rencontre d'hier avait prévu trois conférences. La première, de la sociologue Dorra Mahfoudh, a fourni à l'auditoire des illustrations chiffrées sur le déséquilibre existant entre hommes et femmes. 25 % d'entre elles sont au chômage, contre 14 % pour les hommes. Pour les diplômées du supérieur, le chiffre atteint les 43,5 %, contre 23 % pour les diplômés hommes... La conférencière conclut en soulignant qu'il sera nécessaire d'engager une politique volontariste pour faire changer les choses, en agissant à différents niveaux, y compris celui de la vie publique, en veillant par exemple à régler le problème des crèches, mais aussi celui de la vie privée, en favorisant le changement des habitudes en matière d'éducation et d'activités ménagères... Des recommandations qui sont largement reprises par le juriste Chawki Gaddes, qui déclare par ailleurs : «Il ne faut pas s'étonner du fait que les femmes ne représentent que 30 % des effectifs de la fonction publique, il faut s'étonner du fait qu'elles sont à ce niveau alors qu'au départ elles représentent 50,2 %...». D'où vient cette déperdition ? Et pourquoi cette disparité alors que les jeunes filles sont plus nombreuses dans les amphis et sur les podiums des études supérieures ? Le conférencier dénonce la misogynie de certains articles de la loi sur la fonction publique. Mais il pointe surtout du doigt le poids des habitudes sociales, qui réquisitionnent la femme pour des obligations familiales et éducatives dont l'homme se trouve épargné, et sans contrepartie. Enfin, la troisième conférence a été assurée par Anouar Moalla, expert en communication, qui devait évoquer la contribution des médias à l'instauration d'une société égalitaire. Certaines de ses affirmations à l'emporte pièce ont suscité la perplexité du côté de certaines personnes dans la salle... La représentante de l'ONG ne disait-elle pas en introduction que le travail mené était comme un tango? Et qu'il faut être deux et ne pas se marcher sur les pieds... Autrement dit ne pas imposer son style et ses présupposés à l'autre. Cela ne s'improvise pas !