Sous nos cieux, on a le don de tout travestir. Et de tout pervertir. Sitôt élue, la défunte Assemblée constituante, qui devait enfanter une Constitution en moins d'une année, s'était érigée en pouvoir qui tenait de l'exécutif et du législatif. Elle a, au bout du compte, traîné la patte trois années durant La nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP), quant à elle, peine à s'assumer en véritable Parlement. Alors qu'elle a été élue comme telle pour une législature de cinq ans. Depuis quatre mois et des poussières qu'elle est en place, elle n'a pas encore légiféré. Elle s'abîme en revanche dans d'étroites querelles partisanes en vue du contrôle de telle ou telle commission. Le président de l'ARP, M. Mohamed Ennaceur, assume une lourde responsabilité à ce propos. Laissant faire le plein jeu de la partitocratie, des astuces légales et des manœuvres frauduleuses, il a campé la chose et son contraire. Pas plus tard qu'il y a une semaine, il intimait au Front populaire d'accepter la démocratie et donc l'octroi de la présidence de la commission des finances à Iyed Dahmani. Ce dernier représente le parti Al-Joumhouri, qui n'a qu'un seul siège sur les 217 que compte l'ARP, et un bloc parlementaire fantasque. Quelques jours plus tard, Mohamed Ennaceur accepte l'annulation de cette entourloupette et préside l'élection du président de ladite commission. Avant que l'annulation du verdict des urnes ne soit réclamée par certains élus déçus par le résultat. Et dire que les élus de la défunte Assemblée constituante avaient promis l'examen de la loi antiterroriste le 27 octobre 2014. Jusqu'aujourd'hui, ladite loi est encore illégalement bloquée, pour avoir été abusivement suspendue et faute d'avoir été réexaminée. Entre-temps, le terrorisme sévit. Les colonnes de l'ordre noir frappent et leurs renforts menacent à nos portes. L'insécurité est partout. L'économie est en naufrage, les prix sont aux étoiles et le pouvoir d'achat du commun des citoyens n'en finit pas de chuter dans les abysses. Le dinar glisse vertigineusement, lui aussi. L'endettement atteint des niveaux intolérables tandis que le déficit de la balance commerciale se poursuit. L'investissement est pratiquement nul, les exportations se réduisent comme peau de chagrin. Le corporatisme étroit enfante des grèves sauvages ou mal à propos. Les institutions sont en panne. La marge de manœuvre gouvernementale est incongrue. Le rôle de l'ARP est supposé être aux antipodes de ce qu'il en est actuellement. Les luttes de factions, les coteries douteuses y sévissent. Le pouvoir législatif est supposé aiguillonner l'action gouvernementale à travers son action normative certes, mais aussi le contrôle de l'exécutif. Il n'en est rien. D'où cette étrange impression de vide institutionnel. Maintenant que les commissions sont en place — ou presque, parce que rien n'est donné — l'on peut escompter le plein jeu de l'institution parlementaire. Encore faut-il que l'establishment assume. Parce que, visiblement, il y a plus d'empressement à régler des comptes entre factions et partis qu'à s'acquitter des tâches normalement dévolues à l'Assemblée. Le rôle du président de l'ARP est décisif à ce propos. Il gagnerait à établir un échéancier rigoureux des lois et normes à adopter ou abroger, dont certaines ne souffrent guère l'attentisme. Pour ce faire, les segmentations «tribales» en cours à l'Assemblée devraient disparaître. Une déclaration de principe, ou un discours rigoureux, haut et fort, du président de l'ARP, ne seraient pas malvenus. Rendons-nous aux évidences. A l'échelle tant de l'efficience que de la représentation, l'action législative, gouvernementale et présidentielle est très mal cotée encore sous nos cieux. Les débuts de la IIe République sont plutôt timorés. Il n'y a pas encore un grand dessein, un programme d'envergure, des horizons qui puissent faire rêver dans l'immensité du possible. On s'empêtre encore dans le provincialisme, le particularisme étroit, l'esprit de clocher et de chapelle. On a l'impression qu'il y a foule, mêlée même autour des partis, tandis qu'autour de la patrie, les rangs sont plutôt clairsemés. Les bannières douteuses l'emportent. Les fausses causes sévissent. Vivement le Parlement en bonne et due forme.