Les manœuvres politiciennes confinent aux entourloupettes politicardes à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). À preuve, l'élection, vendredi 20 février, à la tête de le commission des finances. On y a assisté à des passes d'armes non dissimulées entre les élus du Front populaire avec pratiquement tous les autres blocs parlementaires. Au final, c'est le représentant du parti Al-Joumhouri (un seul député sur les 217 que compte le Parlement) qui a été investi président de cette commission. La principale formation de l'opposition — le Front populaire avec 15 élus — en a été écartée. Moyennant une victoire à la Pyrrhus pour les vainqueurs qui y ont laissé des plumes, surtout d'ordre éthique et politique. Résumons. L'article 60 de la Constitution tunisienne est on ne peut plus explicite : «L'opposition est une composante essentielle de l'Assemblée des représentants du peuple, elle a des droits lui permettant d'accomplir ses missions dans le cadre du travail parlementaire et lui garantissant la représentativité adéquate dans les structures et activités de l'Assemblée, sur les plans intérieur et extérieur. Parmi ces droits, il lui est obligatoirement accordé la présidence de la commission des finances et le poste de rapporteur au sein de la commission des relations extérieures. Elle dispose également de celui de créer et de présider tous les ans une commission d'enquête. Elle a, entre autres, le devoir de participer activement et constructivement au travail parlementaire». Est considérée comme opposition toute partie ne participant pas au gouvernement et n'ayant pas voté favorablement son investiture. De ce fait, le Front populaire émerge comme principale formation de l'opposition eu égard au nombre de ses députés, à son profil politique et à son programme. Et ce n'est un secret pour personne. Mais l'alliance gouvernementale dérange précisément le Front populaire, politiquement et économiquement. Et le bloc gouvernemental, en retour, ne considère guère le Front populaire comme sa tasse de thé. D'où, ces dernières semaines, des manœuvres de coulisses tendant à mettre sur pied un bloc parlementaire au sein de l'opposition, fût-il circonstanciel et à même de damer le pion au bloc du Front populaire. Ce fut chose faite avec le bloc dit de la démocratie sociale. L'un de ses membres a même voté favorablement l'investiture du gouvernement en place. Sous nos cieux, il y a, de longue date, un syndrome paradoxal sur la place politique. Il y est plus facile d'élever des murailles et des fosses que de construire et jeter des ponts. L'alliance gouvernementale Nida-Ennahdha — et ses satellites — peine à légitimer son opportunité au sein même des bases tant de Nida que d'Ennahdha. Au lieu d'argumenter, d'expliciter, les deux camps se confinent dans les abysses du mutisme coupable. Un certain nombre d'observateurs considèrent volontiers cette alliance à l'aune de l'opportunisme plutôt que de la nécessité historique. D'autant plus que, des mois durant, les élections législatives et les deux tours de la présidentielle ont âprement opposé les nidaistes aux nahdhaouis. Le parti Al-Joumhouri n'est plus que l'ombre de lui-même. Aux élections de l'Assemblée constituante, en 2011, il tablait sur quelque 70 sièges. Il n'en avait ramassé que 16. Aux dernières législatives, il escomptait 25 sièges. Il n'en a écopé que d'un seul sur les 217 que compte le Parlement. Son dirigeant historique, militant démocrate de longue date, M. Néjib Chebbi, s'est présenté à l'élection présidentielle. Il n'a obtenu que 34.025 voix, soit 1,04 % du total. Aujourd'hui, Al-Joumhouri dirige l'opposition. Et son seul représentant au sein de l'ARP, Iyad Dahmani, dirige la commission des finances, dévolue constitutionnellement et exclusivement à l'opposition ! Tout porte à croire que la nouvelle alliance gouvernementale veut se tailler une opposition sur mesure. Neuf des onze membres du bureau de l'ARP ont voté en faveur de Iyad Dahmani contre deux seulement au profit de Mongi Rahoui, représentant du Front populaire. Ledit bureau compte bien pas moins de dix membres de l'alliance gouvernementale. Dans les régimes démocratiques, le degré de virulence de l'opposition en fait une opposition systématique, sélective ou constructive. Ici, elle risque de n'être qu'artificielle, circonstancielle ou technique. Ce dernier aspect importe beaucoup quand on sait que le bloc de la démocratie sociale regroupe des élus de formations politiques aux antipodes les unes des autres. D'où des interrogations sérieuses sur ses soubassements réels et sur sa pérennité. Parce qu'un bloc parlementaire n'est guère un regroupement fortuit de gens comme dans une salle des pas perdus, dans un tribunal, un aéroport ou une gare.