Chafik Sarsar: «La constitution de janvier 2014 impose que l'ensemble du territoire soit municipalisé, ce qui n'est pas actuellement vérifié sur le terrain. Une loi organique doit être votée dans ce sens» Dans le cadre de ses préparatifs pour les prochaines échéances électorales et à leur tête les élections municipales, l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) organise une série de rencontres-débats pour mettre sur la table l'ensemble des défis et permettre aussi à la société civile d'interagir avec l'Isie sur des questions cruciales. Ainsi, Chafik Sarsar et son équipe animent hier et aujourd'hui une rencontre à Tunis autour de «l'inscription des électeurs». Une opération qui, dans un passé non lointain, avait été accompagnée de vives critiques de la part d'une bonne partie de la société civile, relayée par la presse nationale. «On nous a même accusés d'avoir inscrit des morts!», ironise le président de l'Isie, Chafik Sarsar. Loin d'être une simple formalité administrative, l'inscription revêt une importance capitale dans les pays qui ont connu des transitions politiques, et ce, pour deux raisons essentielles : d'abord parce que la nouvelle administration doit partir d'un registre d'électeurs très probablement trafiqué par les cerveaux de la dictature. Ensuite, parce les expériences ont montré que quelque temps après l'euphorie générale due au changement politique, les électeurs potentiels se désintéressent de la politique au fur et à mesure qu'ils perdent confiances dans les acteurs politiques. «C'est une opération délicate qui permet de garantir le droit de chaque citoyen à élire ses gouvernants», conclut Chafik Sarsar. Particularité des élections municipales Sans doute, ce sont les élections municipales qui mobilisent aujourd'hui la réflexion des différents intervenants dans l'opération électorale. Si l'appartenance géographique de l'électeur n'avait pas une incidence véritable sur les scrutins législatif et présidentiel (élections à caractère national), il n'en est pas de même pour les élections municipales. En effet, il ne suffit pas cette fois d'avoir le statut d'électeur, il faut que l'électeur soit rattaché à sa localité. «Il faut penser à faire évoluer le système d'inscription en vue des echéances à venir, précise Chafik Sarsar. Il faut adapter le système actuel conçu pour l'organisation d'élections au niveau national, aux spécificités des élections locales qui supposent un rattachement juridique et réel entre l'électeur et les conseils régionaux à élire». L'opération est d'autant plus délicate que celle-ci est liée à l'endroit où le contribuable (l'acteur économique) paye ses impôts, principale source de revenus pour les collectivités locales. Ici, le président de l'Isie accorde une importance non négligeable à l'opération d'inscription des électeurs en démontrant qu'elle pourrait, en l'absence d'un système fiable, être source de manipulation du scrutin. Selon lui, par exemple, lors d'éventuelles élections partielles, les acteurs politiques pourraient manipuler l'opération d'enregistrement des électeurs en s'appuyant sur «le tourisme électoral». Différent du tourisme partisan au Parlement, le tourisme électoral consiste, en cas de réouverture des inscriptions, en un transfert massif du corps électoral d'une circonsription à une autre afin de maximiser les chances de victoire au scrutin partiel. On se demande dès lors s'il est judicieux de rouvrir les inscriptions à l'occasion d'une élection partielle? Si la justice annule les résultats d'une circonscription, l'Isie devra organiser de nouvelles élections...partielles cette fois. Sur la question de savoir si les élections municipales peuvent se tenir en 2015, la position officielle de l'Isie reste quelque peu confuse. Après avoir déclaré peu probable la tenue d'élection en 2015, Chafik Sarsar estime désormais que cela n'est «pas impossible». Sauf que les préalables qu'il préconise semblent assez peu réalisables en quelques mois: «La constitution de janvier 2014 impose que l'ensemble du territoire soit municipalisé, ce qui n'est pas actuellement vérifié sur le terrain. Une loi organique qui doit être votée dans ce sens, explique Chafik Sarsar. Il faut également se doter d'une loi électorale, d'une loi relative aux prérogatives des conseils régionaux et des conseils municipaux, et enfin une loi sur le budget et les finances des collectivités locales». Le chantier est donc assez large pour l'Isie tout comme pour la société civile, partenaire très critique mais indispensable à l'instance constitutionnelle. Aujourd'hui, les différents ateliers sortiront avec un certain nombre de recommandations, qui permetteront à nos élus de l'ARP de disposer d'un canevas. Des anomalies à rectifier Près d'un demi-million de Tunisiens (en âge de voter) sont dépourvus de carte d'identité nationale, des femmes pour la plupart, a révélé un membre de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), Riadh Bouhouchi, qui a appelé la société civile et les organismes concernés à remédier à cette situation avant les prochaines élections. De multiples écueils et anomalies ont été recensés par l'Isie lors des dernières élections législatives et présidentielle en matière d'inscription des électeurs, d'actualisation et de sécurisation de la base de données de référence. Le responsable de l'Isie a, d'autre part, pointé du doigt l'inadéquation du fichier actuel de l'état civil avec les besoins de l'administration électorale, avec notamment de grands retards dans l'enregistrement des décès ou, parfois, tout le contraire: 34 personnes qui se sont présentées pour se faire inscrire au fichier électoral ont découvert que, d'après le fichier de l'état civil, elles étaient... décédées. Les anomalies signalées touchent même la base de données du ministère de la Justice qui ne serait pas à jour en ce qui concerne les personnes privées de droits civiques (et donc de droit de vote) au titre d'une peine complémentaire prononcée par les tribunaux, et celle du ministère de l'Intérieur, qui comporte des imprécisions concernant les effectifs des corps actifs (eux aussi privés de droit de vote).