Par Habib Bouhawel Les lieux communs occidentaux, alimentés par un inconscient chrétien toujours en vigueur, ne finissent pas d'entretenir cette islamophobie populaire, si pratique quand il s'agit d'exorciser ses propres démons. Il faut dire que le feu est si bien attisé lors d'antagonismes politiques et d'enjeux stratégiques où l'habile exacerbation par divin interposé, s'exprime en roue libre et souvent en toute violence et où le peuple du nord retrouve ses fantasmes de croisade, ou plus récemment de colonisation. Sont justifiées alors les agressions et les guerres livrées au «Satan» du sud, via les divers alibis, imparablement sanctifiés par l'ONU. C'est vrai que nous sommes victimes, mais c'est aussi vrai que les victimes ne sont pas exemptes de reproches. Une part de responsabilité échoit toujours à la victime, surtout quand l'agression n'est plus fortuite ou occasionnelle. On avait tout le temps de nous ressaisir, de nous poser des questions pertinentes et surtout d'oser nous remettre en cause et remettre en cause nos systèmes générateurs de ces humiliations répétitives et si perméables à l'agression. Se remettre en cause, oui, le mot fatidique est lâché. Mais est-on seulement capables de ce défi culturel, existentiel, capital, et qui, en fin de compte, décidera de notre survie? Mais au fait, quels sont les freins et les inhibitions qui bloquent la mécanique? Sont-ils inhérents à un dysfonctionnement génétique ou à une anomalie de raisonnement? Il se trouve que l'Occident ne s'est libéré de ces mêmes tares que récemment, cependant qu'il se permet le luxe de nous toiser de haut. En remontant vers la fin du quinzième siècle, on retrouve le bûcher auquel étaient vouées les malheureuses victimes du sinistre Inquisiteur Général Torquemada. Ses justiciables étaient pêle-mêle, musulmans, juifs, protestants, homosexuels, fornicateurs et autres blasphémateurs. L'inquisition espagnole ne fut définitivement abolie qu'en 1834. Les derniers condamnés au bûcher en France le furent à la veille de la Révolution française. La cause du délit était l'homosexualité. Aux Etats-Unis, les crimes confessionnels, avec notamment le Klu Klux Klan ont perduré jusqu'après la deuxième moitié du vingtième siècle. Mais cela ne nous excuse guère. Le monde change et nous bouscule. Nous sommes victimes, en premier lieu, de nous-mêmes, de nos propres défauts, de notre inaptitude à nous renouveler et à réagir face à cet univers mental dans lequel nous sommes enfermés depuis que l'islam est devenu en même temps « religion » et « cité », depuis que toute expression culturelle ou politique est devenue coextensive de la parole de Dieu, des coutumes présumées du Prophète et des édits des docteurs de la loi. Nous avons plus que jamais besoin de nous affranchir de la tutelle du contemplatif et de nous réconcilier avec une approche active, où l'être humain retrouve son statut d'individu, si cher et tant préconisé par les humanistes de la Renaissance italienne. Un individu imprégné des valeurs civiques de la République. Ceci implique un nouveau système de valeurs revisité par un enseignement enfin laïque et par l'application des termes de notre Constitution dont ce vénérable et saint article « six » qui préconise la liberté de conscience et qui interdit les campagnes d'accusation d'apostasie et l'incitation à la haine et à la violence. Seulement, les articles de loi pourraient-ils bannir les dérives de la foi? A en juger par les séances d'inquisition télévisées intentées à l'éminent Mohamed Talbi, on est en droit de réfléchir sérieusement quant au chemin de croix qui nous reste à parcourir, jusqu'à, enfin, retrouver une dignité intellectuelle, seule capable de nous placer sur une orbite moderniste et salvatrice. Le monument national Talbi, (au Japon, on lui décernerait le titre officiel de «trésor national»), l'historien et le penseur aux dizaines de distinctions et au nombre incalculable d'écrits, ce militant d'extrême intelligence et ce baroudeur de la raison, fut livré au peuple. Et le peuple s'esclaffa de sa propre ignorance et des Lumières de Talbi. Et les animateurs caressaient la multitude dans le sens du poil, foulant du pied cette dignité intellectuelle précédemment citée. La joute était inégale et les dés pipés. Quand on oppose la science à l'ignorance, et l'intelligence à la bêtise souveraine, on met en péril l'harmonie de l'univers et on casse le fil ténu qui nous relie à l'espoir. Quand on jette les meilleurs d'entre nous dans la fosse aux lions, on compromet l'évolution. Mais l'impérial savant et historien a su donner une leçon magistrale aux apprentis inquisiteurs et aux animateurs du « peuple des citoyens ». Du haut de sa frêle corpulence, le regard droit et le verbe juste et pourfendeur, il nous a réconciliés avec l'espoir et nous a donné une superbe raison de vivre. Professeur, nous n'oublierons pas la leçon. Et tel le dessin animé de Disney, la « Belle » a eu raison de la « Bête ».