Par notre correspondant permanent à Paris, Jamel HENI Jeudi 19 était tunisien par excellence à Paris. Tristement tunisien. L'assaut sanglant contre le musée du Bardo a fait la Une de tous les quotidiens de la place. Le Figaro évoque « la terreur islamiste », Libération titre « la Tunisie en otage », « la démocratie attaquée », écrit Le Monde. Les éditorialistes sont unanimes. Le terrorisme mène une guerre de symboles. L'heure et le lieu du crime en attestent. Il a choisi d'attenter à la vie d'innocents touristes dans un temple de la culture, à l'heure où s'est ouvert le débat parlementaire sur la loi antiterroriste dans le bâtiment voisin! Un triple coup à la démocratie, à l'économie et à la culture, concluent-ils.... La presse française n'est toutefois pas au même pied de rigueur. Certaines rédactions auraient sacrifié à des facilités wikipédiennes, quand ce n'est pas au paternalisme d'un autre âge! Légèreté et méconnaissance La titraille « radiotée » d'Elodie Auffrey, correspondante de Libération à Tunis, illustre cette légèreté. Le fameux « c'est fini la Tunisie, c'est fini le tourisme », devenu plus tard « on savait qu'ils frapperaient, mais ici...» a soulevé un tollé général à Tunis. « Je reçois une pluie de messages pour dire que non, la Tunisie n'est pas finie », twitte la journaliste le soir du drame. Sans sombrer dans des procès d'intention aux accents complotistes, le titre informatif péchait par excès d'abstraction, de neutralité « malveillante », voire de défaut de synthèse, puisque l'essentiel du reportage est ailleurs ! Rien dans ce qu'a écrit Elodie Auffrey ne ressortit au mépris, il s'agirait plutôt de titraille pressée ! Le bât blesse ailleurs ! Le métropolitain le Parisien titre à tour de bras ! : « Attentat à Tunis : l'armée tunisienne n'est pas à la hauteur face à la menace jihadiste ! ». Rien que cela. L'interview de Mansouria Mokhefi, conseillère spéciale Moyen-Orient- Maghreb de l'Institut français des relations internationales IFRI, alterne contre-vérités et approximations ! Madame Mokhefi n'y va pas de main morte ! « Dans le sud du pays, ce sont les militaires algériens qui surveillent la frontière à sa place et mènent la répression contre les islamistes. La Tunisie n'est pas prête à faire face, c'est le problème principal », affirme-t-elle, avant d'ajouter plus loin : « Il y a la Tunisie éclairée, celle de la côte nord : la Tunisie laïque, libérale et pacifiste. Et une Tunisie du sud qui a toujours été profondément attachée à l'islam, vécu comme une réponse à tous les maux de la société » ! Le Sud tunisien aurait ainsi complètement échappé à l'Etat, les frontières tunisiennes seraient abandonnées, l'armée algérienne patrouillerait à Kasserine et au Kef, mais surtout une forme sournoise d'islamisme géographique aurait engagé des populations entières dans une guerre de civilisation ! D'un alarmisme condescendant, sommes-nous tombés dans les abysses de la négation ? Madame Mokhefi ne connaît strictement pas la Tunisie ! L'armée tunisienne n'est certes pas une armée de conquête, mais elle n'en demeure pas moins une armée de guerre ! Un institut de défense nationale, deux académies militaires, une école d'aviation, une école supérieure de guerre....autant d'établissements qui forment les élites tunisiennes à la guerre classique, à la guérilla urbaine, à la lutte contre le terrorisme ! Les frontières tunisiennes sont toujours gardées par des Tunisiens, et la traque des terroristes a permis de juguler la marée verte ! Des caches d'armes en nombre ont été découvertes et pas seulement dans le Sud, des candidats au terrorisme sont placés en garde à vue, les derniers coups portés à l'Etat Islamique expliqueraient en partie l'attentat du Bardo, à en croire certains observateurs ! La route est encore longue et le combat difficile, mais l'armée tunisienne n'est ni moins efficace ni mieux formée que ses puissantes homologues qui ne purent elles aussi « faire face à la menace jihadiste » ! Pour le clivage Nord laïque, pacifiste-Sud islamiste, terroriste, c'est à la fois faux, manichéen, dangereux et méprisant ! « Un lotissement » des forces du bien et du mal, que rien ne vient confirmer dans les faits ! Miroir aux alouettes On retrouve la même « essentialisation » des tristes événements du Bardo chez les confrères de RFI. Les failles sécuritaires seraient donc l'unique jauge des capacités militaires de la Tunisie. Un article du genre bâtard fait suite à l'interview du chef de la diplomatie tunisienne. Le titre ressemble drôlement à celui du « Parisien » ! « Tunisie : l'armée démunie face à la menace terroriste ! » Après un bref rappel des faits, l'entrefilet passe du journalisme au conseil militaire avant de glisser carrément vers l'injonction savante ! « Depuis 2011, la Tunisie a commencé à réformer son appareil sécuritaire. Sans retomber dans les dérives du système Ben Ali, en réformant la loi antiterroriste de 2003, l'Etat tunisien devra disposer d'une palette suffisamment large de moyens permettant de renforcer ses contrôles aux frontières, d'identifier les réseaux terroristes et de combattre les mouvements armés sur le terrain ». Ce mode impératif est moins évident au paragraphe suivant, mais on y est plus proche du partenariat militaire que du journalisme: « Cela passera par davantage de coopération au niveau du renseignement, mais aussi par un effort en matière d'équipement et d'entraînement. Car l'armée tunisienne ne compterait pas plus de 30.000 hommes et est encore basée sur l'ancien système de la conscription. » L'auteur omet que la conscription se limite au service militaire obligatoire, que l'armée tunisienne recrute et que les 27 mille hommes de l'armée de terre sont bel et bien enrôlés ! Comme le sont les forces navales et les paras ! La légèreté des uns, la méconnaissance des autres sont-elles le miroir aux alouettes d'une presse moraliste qui prend ses désirs pour une réalité ! Et quels désirs résurrectionnels pour la moitié sud de la Méditerranée !