Par Brahim Oueslati Février 2011, à peine quelques petites semaines après le 14 janvier, près de 300 hauts cadres de l'administration publique, PDG, directeurs généraux et directeurs centraux se sont rassemblés, à l'appel de l'amicale de l'ENA, devant le siège du Premier ministère, pour protester contre la manière dont ils ont été soit démis de leurs fonctions, soit mutés, ou tout simplement « mis dans le placard ». Une pétition a été remise au Premier ministre de l'époque, Mohamed Ghannouchi, et qui est restée sans lendemain. La plupart d'entre eux ont été « dégagés » sans raisons valables, dans une entorse flagrante à la réglementation en vigueur. Pis, des dossiers leur ont été fabriqués à la hâte, en toutes pièces, et transmis soit à la justice soit à la cour de discipline budgétaire. C'est qu'à cette période, des groupes de pression se sont formés, composés de « néo révolutionnaires » qui ont confisqué « la révolution des jeunes » en s'autoproclamant « protecteurs et défenseurs de la révolution » pour « nettoyer l'administration ». Aidés en cela par de nouveaux « inquisiteurs » qui avaient orchestré de véritables « chasses aux sorcières », ne lâchant pas de leur vindicte des fonctionnaires, pour la plupart honnêtes et consciencieux. Ces groupes avaient préparé des listes qu'ils ont soumises à quelques ministres de l'époque leur donnant des ultimatums, sinon ils seraient eux-mêmes dégagés. Le directeur général de la douane avait été remercié pour confusion de noms avec un responsable sécuritaire et Mohamed Ghannouchi avait obéi à l'injonction d'une personne soupçonnée d'être derrière le limogeage des 42 anciens hauts cadres du ministère de l'Intérieur entériné par un éphémère ministre affublé du qualificatif « monsieur propre ». L'administration publique déconsidérée Les 24 gouverneurs des régions ont été précipitamment remplacés et certains d'entre eux traduits devant la justice pour « falsification des élections ». Des délégués et des « omdas » révoqués pour cause de connivence avec l'ancien régime. De hauts commis de l'Etat se sont trouvés, d'un jour au lendemain, en butte à des tracasseries de tous genres pour régulariser leur situation vis-à-vis des caisses sociales. Sans revenus, ils sont tombés dans la précarité, en proie au doute, bercés entre le remords d'avoir opté pour le service public et l'espoir qu'ils seront un jour réhabilités. Certains ont vu leurs dossiers tout simplement détruits. Leur honneur a été jeté aux chiens par une certaine presse de caniveau et condamnés sans qu'ils ne soient jugés. L'administration, vidée de ses compétences qui ont été remplacées par des novices ne remplissant même pas les conditions énoncées par la loi et sans l'expérience requise, s'est trouvée à plat. Le résultat, on le connaît maintenant, pitoyable et calamiteux. L'exemple le plus éloquent est celui du ministère de l'Intérieur, frappé dans son cœur même par la dissolution de l'un de ses services les plus efficients, malhonnêtement appelé « police politique » et la mise à la retraite d'office de cadres compétents, sans parler de l'emprisonnement des anciens responsables qui ont été, plus tard, libérés par la justice militaire. L'administration publique a été fortement déconsidérée et son image terriblement écornée. Pourtant, c'est cette administration, quoique décapitée et amoindrie, qui a réussi à tenir, tant bien que mal, les rênes de l'Etat. Le retour à la normale, après quatre années de provisoire et la désignation d'un nouveau gouvernement, devrait favoriser la réouverture des dossiers de ces anciens hauts commis de l'administration publique victimes de personnes perverses et d'injustice flagrante. Le chef de gouvernement, lui-même un haut commis de l'Etat, et le retour d'Ahmed Zarrouk considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de la fonction publique, comme secrétaire général du gouvernement, sont appelés à se pencher sérieusement sur ces cas et rendre aux gens leur honneur bafoué. Certains d'entre eux sont prêts à reprendre du service, d'autres non. Mais ils ont droit à la dignité.