L'affluence dominicale est très attendue par les exposants de la Foire du livre de Tunis pour booster les ventes des livres et réaliser un volume d'échanges commerciaux conséquents qui a fait défaut depuis le début de la manifestation. Même si l'ambition première de la Foire est d'œuvrer à valoriser la production culturelle nationale tout en assurant une large ouverture sur la culture du monde, il n'en demeure pas moins que pour les éditeurs et les distributeurs, la Foire est le rendez-vous annuel pour faire des affaires. Or, cette année, cela ne semble pas le cas. Un détour par la Foire mardi dernier a permis de constater le manque d'affluence du public. Les exposants tiennent pour responsable le pouvoir d'achat du Tunisien. Mais excepté la relative désertion des visiteurs, la Foire du livre a marqué des points positifs en misant tout d'abord sur la qualité. Plus de «Bkhour» (encens), ni de «rouhaniats» ni non plus de femmes en «Hijab» et de barbus. Vigilance aux portes d'accès de la Foire du Kram. Un contrôle strict des sacs, cartables et autres cartons est effectué grâce à des appareils de détection. L'élite tunisienne lit Ce jour-là, un groupe de jeunes écoliers reconnaissables par leur tablier à carreaux bleus et blancs parcourt les rayons de l'espace Afrique Culture représentant une chaîne de librairies disposant de deux points de vente à Tunis et d'un autre à Sousse. Kenza, élève en 6e à Tunis, est toute contente de son acquisition : «Divergences». Son camarade Omar, lui aussi en 6e, a acheté «Chair de poule» et un CD en guise de cadeau. «L'essentiel est qu'il y a une élite tunisienne qui lit. Malheureusement, ce sont ceux qui ont un pouvoir d'achat qui leur permet de lire et d'acheter des livres», fait remarquer Mohamed Bennour, consultant à Afrique Culture. Selon lui, l'Etat est appelé à développer des librairies dans toutes les régions de Tunisie. «Le savoir ne doit pas être le monopole des personnes qui ont de l'argent. Maintenant que le ministère de la Culture vient de se doter d'une aide de l'Union Européenne, il doit penser à Thala, Sidi Bouzid, Kasserine et ouvrir de grands centres de livres, des bibliothèques, l'ère des caravanes de livres est révolue, il faut construire des librairies et des écoles modernes, cela permettra de réconcilier les Tunisiens entre eux et de combattre le terrorisme», suggère-t-il. Au sujet des prix relativement chers pour la bourse des Tunisiens, Mohamed Bennour estime que les réductions de 20% sont insuffisantes. «Mais le livre a un prix. Les éditeurs qui nous vendent des livres sont payés avant même l'achat du livre en Tunisie parce qu'ils veulent assurer leur équilibre financier. En tout cas, pour ce qui nous concerne, nous sommes satisfaits», ajoute-t-il. Souci pour le livre à bas prix Un peu plus loin, Maghreb Diffusion représentant plusieurs éditeurs : L'Harmattan, Economica et d'autres éditeurs en Beaux arts, sciences humaines ou architecture, n'a presque pas de visiteurs. «La reprise des cours dans les établissements scolaires réduit le nombre de visiteurs», note Selma Hammami, gérante du stand, et d'enchaîner : «Les gens qui se rendent à la Foire, cette année, savent ce que veut dire un livre contrairement à 2012 et 2013. Les visiteurs sont à la recherche de livres traitant d'actualité politique phare sur la Tunisie et le Maghreb. Cela me fait plaisir qu'il y ait plein de livres d'auteurs tunisiens, plein de séances de dédicaces au niveau des stands. Voilà la Tunisie, voilà les Tunisiens au vrai sens du mot». Certains distributeurs ne se plaignent pas du manque d'affluence, au contraire leur stand ne désemplit pas. L'adresse du livre pas cher est Eco livre. Ici les livres, particulièrement importés de France, sont vendus à des prix cassés. «La direction de la Foire nous a empêché de vendre à des prix de solde comme on l'a toujours fait depuis 15 ans : autrement dit, trois livres à 10D et deux à 5 D. Si on vend au prix réel, avec les 20% on n'aurait personne dans le stand», se désole son représentant. La direction de la Foire du livre applique la réglementation en vigueur qui consiste à s'approvisionner chez les éditeurs. «Je risque d'avoir des soucis pour l'an prochain. Depuis la révolution, on a fermé tous nos points de vente en Tunisie. On a failli nous zigouiller parce qu'on représente la francophonie. On fait entrer à peu près 52.000 titres par an. Mon souci premier est que les gens lisent. La foire est un événement extraordinaire. L'affluence est importante malgré la crise. Plus ca marche chez nous moins ca marche chez les autres et ce malgré le prix élevé de la location du stand 3 mille dinars les 10 jours sans compter les frais de gestion quotidienne qui atteignent les 500 D. L'essentiel est que tout le monde nous dise merci», se réjouit-il. Mme Rekaibi, de nationalité française, habite depuis longtemps en Tunisie, est intéressée par les livres historiques et visite chaque année la Foire du livre. Elle vient de faire le plein Chez Eco livre : «Les prix sont intéressants. J'ai acheté presque une vingtaine de livres. J'ai des amis avec qui j'échange des livres, je lis tous les soirs, c'est ce qu'on appelle la passion des livres», dit-elle. C'est plutôt calme Huit maisons d'édition représentent le Maroc, invité d'honneur de la 31e édition. Sghaïer Ben Salem, représentant le Maroc des livres, participe depuis 10 ans. «Notre clientèle ce sont les établissements étatiques qui se fournissent chez nous chaque année. L'an dernier, les demandes concernaient les livres littéraires, philosophiques. Cette année, ce sont surtout les livres islamiques. Le seul bémol est le manque d'affluence. Pour le moment c'est plutôt calme». Mohamed May, un des membres du comité d'organisation, reconnaît que l'affluence est ordinaire en semaine. «Au début, le démarrage a été plutôt réussi parce que cela a coïncidé avec les vacances et la tenue du Forum Social Mondial. Les éditeurs attendent la fin de la semaine. Il y a toujours le problème de la date et du timing du déroulement de la Foire concurrencée par d'autres foires comme la Foire internationale du livre de Sousse, sans compter le pouvoir d'achat en berne et la réduction des 20% qui reste insuffisante». Pour ce qui est des activités parallèles assez nombreuses dont les rencontres et les conférences, là aussi l'affluence est en dents de scie. La Foire a proposé ce mardi une journée Michel Foucault, animée par son compagnon de route, Daniel Defert. Quelques personnes s'y sont intéressées dont Dr Ibtissem Ben Hamouda, neurologue à Charles Nicole, rencontrée dans la cafétéria de la Foire et qui dit avoir pris un congé pour profiter de la journée consacrée à ce grand auteur, ami de la Tunisie des années 60. «J'ai eu le plaisir de rencontrer son ami et compagnon de longue date Daniel Defert, invité de IFT. Il a révélé que Foucault était fasciné par les étudiants tunisiens de l'époque. Et pour perpétuer le plaisir de la lecture de Foucault, j'ai acheté un livre écrit par un des ses disciples».