Par Bady Ben Naceur Images saisissantes, stupéfiantes, dramatiques que celles que nous voyons ces derniers jours sur les écrans TV-France 24 et surtout les chaînes italiennes, du côté de Catagne, en Sicile, si proche de nous : des milliers de harragas libyens emportés, engloutis par les flots tumultueux de la Méditerranée. Cette mer-mère dont nous sommes les riverains, cette mer de partage où sont nées les trois religions monothéistes ! D'un dépotoir déplorable, auquel nous commençions à lifter son bassin, voici qu'elle prend des allures de cimetière marin. Cimetière marin et mouroir sans rituels et sans respect d'aucune sorte pour tant de pauvres gens, de familles entières délogées, de leurs patries, la peur au ventre d'être décapités ou enflammés par des hordes sauvages sans foi ni loi, bien de chez eux. Ce sont les damnés de l'Afrique du Nord et subsaharienne, du Moyen-orient et même de l'Asie. On ne compte plus les morts et les disparus, dans ces cortèges infernaux que se disputent de cyniques passeurs qui s'enrichissent à leurs dépens. Des morts de tous âges et de maintes origines, femmes, enfants , vieillards attirés — comme on le leur avait menti —, par cette «Europe aux vieux parapets» (Rimbaud) qui n'a plus rien d'accueillant, surtout après la remontée de fascistes et de xénophobes encore plus insoutenables que ceux de la Seconde Guerre mondiale. Durant ces traversées périlleuses qui contrastent, bien évidemment, avec celles des croisiéristes du farniente, on les voit parqués comme des bêtes de somme, non plus comme les harragas tunisiens durant la révolution, dans de petits rafiots de fortune, mais dans des tankers gigantesques et pleins de rouille. Sitôt engagés dans l'écume baveuse et glaciale du côté de Lampéduse ou de la Sicile, ces bâteaux fantômes sont alors abandonnés à leur triste sort. Alors, ces «cadavres exquis», proies faciles pour les chiens de mer et autres squales voraces, attirés en grand nombre dans cette zone, donnent lieu à un spectacle désolant de sang et de globules. Cette image — ou la description que nous en faisons — pourrait paraître cynique aussi. Mais c'est la triste réalité, même si, du côté des médias européens, on se garde encore de les montrer car ces images sont choquantes à plus d'un titre. Elles nous rappellent des peintures anciennes, comme à l'époque des esclaves noirs entassés dans des caravelles en partance pour les Amériques pour servir à défricher tant de nouvelles terres pour la culture du blé et du coton. Et que l'on balançait par-dessus bord quand ils ne tenaient plus le coup durant ces périlleuses traversées. La Méditerranée a-t-elle perdu à ce point la boussole? Elle est finie, vraiment finie cette mer qui n'est plus à nous, que nous ne reconnaissons plus. Et cette barbarie qui nous assiège de toutes parts, sous le regard impassible de cette Europe qui a, maintenant, mal à son identité! Laquelle d'ailleurs? Et nous-mêmes, dans ces pays arabo-musulmans où l'on ne cesse de tirailler, de supplicier, d'assassiner les populations autochtones. Et il est inutile de discuter longuement des dangers qui assaillent de plus en plus ce Bassin méditerranéen qui est devenu complètement fou. Comme, d'ailleurs, de nos sociétés civiles en divorce total ou presque maintenant, entre le Nord et le sud, voire entre l'ouest et l'Est. On vient de sortir un «plan». Et vous savez lequel ? Le «Plan Mare Nostrum»! On se croirait revenus à l'époque des grands empires : Carthage et Rome. Avec un goût encore plus amplifié de la barbarie. Agissons au plus vite avant qu'il ne soit trop tard...