Par Hamma HANACHI Les fêtes de l'an II de la Révolution ont été précédées par des crimes, peu de temps après avoir profané le mausolée de Sidi Abdelaziz à La Marsa, des énergumènes sans foi, des Tartuffe de l'Islam qui agissent masqués ont mis le feu au tombeau de Abou Saïd Béji (1156- 1231). On fait le compte, tristement, Sayda Mannoubia, Sidi Yeti et Fadhloun à Djerba, en passant par Sidi Hachani à Menzel Abderrahman,. Avec cet acte barbare, Sidi Bou Saïd est le 15e mausolée à être brûlé par ces hordes de fanatiques et adeptes du « Wahabisme » responsable de tant de sacs et de démolitions. La communauté du village, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1979, les riverains et d'autres citoyens blessés par cet acte odieux ont réagi instantanément, choc et indignation, colère et ressentiment, rassemblement spontané des citoyens, le ministre de la Culture venu sur place déplorer les actes est traité de renégat, il est dégagé sur le champ, regroupement des confréries en costumes, oriflammes et étendards, désarroi de la population, protestations bruyantes, marche sur le palais de Carthage, dégagement du président venu apporter vainement son soutien aux habitants, réaction prompte ,grogne, tension, cris hostiles. L'inadmissible a débordé du vase, le village s'est vite transformé en centre de ralliement des indignés, bel exemple de résistance calme ou violente. L'acte a pris les dimensions internationales qu'il mérite. Les journaux et autres magazines relatent les faits avec écœurement et amertume. On ne touche pas impunément à un mythe, à une icône marquée dans la mémoire des peuples. Sidi Bou Saïd El Béji, mystique érudit, populaire, prêchait un islam universel et tolérant ; outre la présence du mausolée du savant saint, la localité de par son emplacement exceptionnel, colline donnant sur la mer, est devenue un haut lieu de culture, de vénération, l'histoire de ce village est chargée de savantes discussions, d'élégantes conversations et d'éloquents silences, de dévotion, de souvenirs, de rencontres et de personnages célèbres. Vitrine souveraine du tourisme, la colline attire des millions de visiteurs, de princes et de chefs d'Etat, des centaines d'artistes et d'écrivains y ont élu domicile : les Yahia, Ali Ben Salem, Dhahak, Sehili, Koreïchi, Ben Zakour, etc. A partir de sa maison, Jalal Ben Abdallah a peint des dizaines de vues de la baie sur fond du majestueux Bou Kornine. Des poètes, des peintres ont immortalisé le village, Paul Klee, un peintre majeur du XXe siècle, Macke, Moillet y ont séjourné. Les écrivains André Gide, Henri de Montherlant, Max Pol Fouchet... le philosophe Michel Foucault y a habité. Armand Guibert, enseignant au lycée Carnot, a créé Les Cahiers de barbarie, a écrit des poèmes en hommage au village et ses secrets. On retiendra ici le témoignage que porte Jean Daniel, journaliste directeur du Nouvel Observateur et écrivain dans un émouvant récit au titre évocateur «Mon ciel d'adoption » «Une terre mais aussi un ciel, des terrasses, et bien sûr des visages. Il me faut faire un effort pour réaliser que mes ancêtres ne reposent pas dans le cimetière marin qui surplombe Sidi Bou Saïd... Pourtant, à chacun de mes passages sur les terrasses de ce village béni, le regard perdu vers cet horizon scintillant et brûlé que la lumière inonde, je me dis que tout le malheur de l'homme vient qu'il ne sait pas rester en repos sous le soleil» (Muséart daté mai 1997). Des citations, des vers, des amours nées ou mortes, la beauté, la mer à l'horizon, l'air gorgé de lumière, les placettes secrètes, les ruelles dallées, le port, les jardins, le cimetière, la sérénité du lieu, il s'en trouve par paquets, il suffit d'ouvrir le premier ouvrage venu sur Sidi Bou Saïd. Mais il se trouve un homme exceptionnel qui a transformé le village en temple de culture, qui a fait connaître le site aux intellectuels et amateurs d'art : le Baron d'Erlanger, homme, esthète, musicologue, accueillait ses invités, ses amis, la fine fleur des arts et de l'art de vivre dans sa maison située sur les hauteurs (Centre méditerranéen de la musique). Les villages phares sur la Méditerranée se bousculent pour occuper la bonne place sur le podium : Sète, Saint-Tropez, Capri, Mykonos... Parmi ces perles, Sidi Bou Saïd dans sa modestie, garde un avantage : il évite le pompiérisme. Un collègue ami, critique d'art et connaisseur du village, l'a surnommé le «rêvoir de la Méditerranée», de nos jours, des obscurantistes veulent en faire «un mouroir de la raison et de la grâce».