On débarque dans ce roman comme dans un labyrinthe. On ne sait pas où nous mènera le récit. On se laisse guider par l'auteur qui prend du plaisir à noircir l'histoire, à corser davantage l'atmosphère.Une chose est sûre, la tête basse, on absorbe ce roman de 187 pages d'une seule traite. Comment transformer un être frêle en un abominable criminel? Comment modèle-t-on son propre fils et à force de le chérir, on finit par en faire un monstre? Mohamed Bouamoud nous raconte l'histoire entre un père et son fils. Une relation qui n'est pas basée sur le principe du conflit des générations, mais plutôt et c'est là l'originalité du récit, une relation axée sur une entente mutuelle, axée sur un amour incommensurable et réciproque. Pour le père, il n'y a de place que pour son fils, et pour le fils, il n' y a de place dans son cœur que pour son père. Gâté au point d'abandonner l'école, compagnon fidèle, il sera initié à l'alcool par son père dès sa tendre enfance, l'enfant (Fayçal) grandira sur un mensonge; celui d'être un artiste-peintre. Depuis la première page, Mohamed Bouamoud nous donne le ton du roman, le rythme et même le sujet. Aragon ne disait-il pas que ses romans sortaient de la première phrase ? C'est le procédé traditionnel des grands romanciers qui consiste à commencer le livre, alors que l'action est engagée pour revenir ensuite plus ou moins longuement à des fins explicatives sur une époque antérieure. C'est cette brutalité renforcée par le clair-obscur et par l'éclairage intermittent qui tient en haleine le lecteur de ce roman. Dans les dernières pages, l'auteur nous remet la clé de l'univers qu'il a édifié. Mais là aussi, il nous surprend en escamotant son récit par une pirouette qui donne à l'intrigue une nouvelle dimension. Il trompe le lecteur et lui laisse un goût d'inachevé, comme le font certains peintres. Le tableau final répond aux questions posées dans le tableau initial, leur rapprochement livre les lignes essentielles de l'intrigue et du thème. Mais cette concordance entre début et fin du roman est une preuve de cohérence dans la construction du récit. Les personnages du roman La colère des jours remplissent tous diverses fonctions dans l'univers fictif de l'auteur. L'écrivain éprouve sans cesse le besoin d'arrêter son regard sur un personnage qui le sollicite, de le faire agir devant lui et devant nous, de laisser croître les germes des scènes que contient à profusion l'histoire. Le protagoniste, ici, c'est Fayçal Maddahi, dont l'action est née d'un désir, d'un besoin et même d'une crainte. L'antagoniste, c'est son père Mahjoub Maddahi. Les autres personnages sont soit des éléments décoratifs, soit des destinataires. Ce qui est remarquable dans ce roman, c'est cette densité psychologique des personnages. On a deux types : le round character ou personnage complexe, multidimensionnel, et le flat character qui est un personnage construit autour d'une seule idée ou qualité. De ce fait, on peut dire que la courbe dramatique de ce roman a présenté une ligne fort variable : tendant à l'horizontal avec les premiers errements de Fayçal Maddahi ou bien en lignes brisées où alternent creux et sommets très accentués avec des événements plus ou moins heureux ou dangereux. Changement L'intrigue dans ce roman repose sur la notion fondamentale de changement à partir d'une situation donnée et sous l'influence de certaines forces. Ici, c'est le changement de statut d'enfant, changement de belles-mères, changement d'amies pour finalement aboutir à la transformation d'un simple citoyen calme et serein en un criminel, voire en un jihadiste. Ce qui donne au roman, en tant qu'enchaînement de faits, une tension entre ces faits, entretenus pendant le développement, et qui va trouver sa solution dans son dénouement. Cette tension, à peine sensible dans la première partie de l'intrigue, servira de fil conducteur jusqu'à la crise toujours imminente qui monte vers son paroxysme avec un double crime. Un récit mosaïcal Dans ce roman, Mohamed Bouamoud a préféré à l'ordre chronologique un récit mosaïcal. Il a réussi une narration romanesque très simple qui, outre le fait qu'elle choisit un tout petit nombre d'éléments de l'aventure racontée, en arrive à utiliser une armature temporelle relativement complexe qui se traduit par des anticipations, des retours en arrière, des chevauchements d'actions, des télescopages. Bien évidemment, l'auteur, ici, ne craint pas de zapper des années qui s'écoulent sans apporter rien d'important au récit. Il a hâte d'arriver à des époques fécondes en événements. Il est à noter, d'ailleurs, l'importance que revêt l'espace en tant que décor pour son roman. Le récit s'immobilise parfois en un tableau puis reprend sa progression. Dans ces tableaux ( ex-pubs de Tunis), l'auteur prend le lecteur par la main, pour le promener sur les lieux du récit. Ici, aussi, on découvre la relation fusionnelle de l'auteur avec l'avenue Bourguiba et ses pubs. Mohamed Bouamoud, comme le peintre, choisit d'abord une portion de l'espace qu'il cadre et se situe à une certaine distance. L'espace chez Bouamoud est solidaire à l'unité du récit et à son mouvement sauf peut-être le voyage au Maroc de Faycal Maddahi ou celui de son père en Espagne, qui semblent être de banals alibis d'un éloignement forcé entre les deux principaux protagonistes. Au niveau de la composition, qui est une qualité sans laquelle il n'est pas de chef-d'œuvre accompli, Mohamed Bouamoud semble avoir maîtrisé cette technique. Chaque élément est soigneusement mis en place et subordonné à l'ensemble. Pour Bouamoud, composer, c'est se conformer à la marche même de la vie. Car le fait de composer son récit n'a pas pour autant réduit la marge de liberté dans l'écriture. C'est, d'ailleurs, ici que l'action imaginaire se déroule en tableaux vrais et variés, comme se déroulent les événements réels de la vie. La colère des jours devient par conséquent un roman actif. Il prend comme unité simplement l'unité d'une existence humaine qu'il raconte et qui lui fait un centre. Dans ce roman, cette unité, c'est la condition humaine de Fayçal Maddahi. Le développement central a donné lieu à bien des cheminements divers, à des bifurcations, à des péripéties plus ou moins reliées à la ligne principale du récit. Avec des phrases bien équilibrées et bien rythmées, conformes au mouvement de la page, à son esprit, à ses intentions, le plan a été soumis à ces mêmes exigences, tout en posant des problèmes d'articulation, de liens et de correspondance entre les épisodes, de variété et d'unité. «Dramatisez, dramatisez», recommandait Henri James dans le sens «écrivez des scènes». Il faut arriver à «particulariser nettement », disait Flaubert à Maupassant dans une intention comparable. Et Mohamed Bouamoud, qui commet son sixième roman, semble avoir maîtrisé cette technique. Repères La colère des jours de Mohamed Bouamoud Couverture : Lamine Sassi Editeur : Abdelhafidh Hasseyneya, Twensa Médias Services P.187 Prix 17 DT